Les lycéens de terminale ont entamé les épreuves écrites du baccalauréat jeudi matin, avec la philosophie en guise de hors d'oeuvre. Pour les élèves de série L, c'est une épreuve capitale, notée coefficient 7. Pendant quatre heures, ils ont planché sur les sujets de la connaissance, du droit et de la justice. Marie-Camille Beignet, professeure de philosophie au lycée Dessaignes, à Blois, livre, pour Europe1.fr, les réflexions incontournables pour les deux dissertations de série L. Petite précision : il s'agit avant tout de pistes. Un candidat qui n'aurait pas utilisé les références ci-dessous (notamment les auteurs) n'aura pas automatiquement une mauvaise note.
Sujet 1 : "Suffit-il d’observer pour connaître ?"
- Les notions à aborder et la problématique
"Le sujet porte sur une question d'épistémologie, c'est-à-dire de théorie de la connaissance et de la science. Les notions auxquelles il renvoie sont toutes celles qu'on trouvera dans le champ de la raison et du réel, puisque l'expérience, comme la vérité, la démonstration ou l'interprétation pouvaient être convoquées pour travailler le sujet. A priori, il était au moins nécessaire de renvoyer à la vérité (puisque "connaître", c'est d'abord connaître avec vérité, donc savoir quelque chose qui sera conforme au réel), et à l'expérience, que le terme "observer", indiquait. Observer, c'est en effet bien voir quelque chose, donc en avoir une certaine expérience", détaille notre prof.
"Plusieurs problèmes étaient possibles pour le sujet. De manière immédiate, il nous demande de réfléchir si l'observation suffit, ou ne suffit pas à la connaissance. Il faut donc se demander ce qu'impliquent chacune de ces possibilités : ainsi, par exemple, si elle ne suffit pas, est-ce parce qu'elle est elle-même limitée (et il faudrait donc s'en passer), ou bien est-elle nécessaire, à charge de l'appuyer sur autre chose ? Mais dans ce cas, que faudrait-il d'autre, ou de plus, que l'observation ? Autre problème possible : l'observation me donne toujours accès à des faits individuels devant lesquels je suis passif. N'y a-t-il pas là une opposition avec la connaissance vraie, qui doit valoir de manière universelle, et que je ne peux sans doute acquérir qu'après une démarche, donc en ayant été actif ? Mais alors que faire de l'observation, si je veux arriver à la vérité ? Faut-il l'attacher à une théorie ?"
- Les pièges à éviter
"Le premier piège consistait à ne pas définir suffisamment les termes pour voir à quelle partie du programme ils renvoyaient, et donc se trouver démuni pour conceptualiser ou utiliser des références d'auteurs. Ensuite, une fois les définitions faites, il fallait pouvoir aussi les réfléchir : l'observation, comme simple captation du réel, n'est peut-être pas encore une authentique démarche scientifique. On doit donc pouvoir la distinguer de l'expérimentation. La connaissance dont on parle renvoie certes d'abord à la connaissance scientifique : mais elle a aussi un sens plus large, où il s'agit simplement de savoir quelque chose, et ici l'observation est peut être suffisante. Bref, une fois les définitions opérées, il ne fallait pas hésiter à les reconsidérer, c'est-à-dire à ne pas enfermer le sujet trop rapidement", explique Marie-Camille Beignet.
"Enfin, dernier piège possible : découper le sujet en deux parties, dont la première aurait travaillé l'observation, et la deuxième la connaissance, sans réussir alors à pouvoir relier les deux : ce qui rendait difficile de réfléchir aux limites de l'observation, pour la connaissance."
- Les auteurs à citer
"On pouvait convoquer Aristote, pour qui la science, visant l'universel, est toujours rendue difficile par la simple observation, qui ne me montre qu'un nombre limité de cas. Descartes pouvait être utilisé soit pour réfléchir à la fondation de la connaissance, déterminée par des principes intuitifs puis enchaînée à une logique démonstrative, et donc pas à une simple observation, soit pour indiquer le problème posé par l'observation : elle consiste à recevoir passivement une information, mais celle-ci peut être trompeuse.
Avec Descartes, on pouvait aller plus loin en montrant que ce n'est, en réalité jamais l'observation qui me trompe (ou me donne accès à la connaissance), mais le jugement que je porte sur elle. Enfin, on pouvait se servir de Bachelard, pour qui la connaissance scientifique naît avant tout de la destruction d'obstacles (dont l'opinion), et pas d'un fait qu'on observera, ou de Pascal, qui distingue l'observation de l'expérimentation", liste l'enseignante.
- La référence à l'actualité
"N'importe quelle découverte scientifique récente pouvait être utilisée pour réfléchir le sujet. Par exemple, la découverte d'une exoplanète à côté de Proxima du Centaure : on l'a observée. Or non seulement, on ne l'a pas vue directement (on a capté des ondes, qu'on a ensuite interprétées), mais ensuite, à quel type de connaissance a-t-on eu accès, à part 'il y a une exoplanète là bas' ? Ou bien, l'observation d'ondes gravitationnelles, qu'Einstein avait prédites il y a environ un siècle : ne l'a-t-il pas su, avant l'observation ? Celle-ci fait-elle autre chose que confirmer sa théorie ?", illustre Marie-Camille Beignet.LES AUTRES CORRIGES :
Sujet 2 : "Tout ce que j’ai le droit de faire est-il juste ?"
- Les notions à aborder et la problématique
"Le sujet semble d'abord porter sur une question politique, puisqu'il travaille la notion de droit et de justice. Il faut donc définir le droit, et la justice. Ce que j'ai le droit de faire, c'est ce qui est autorisé par le droit, le droit étant l'ensemble des règles légales qui régissent les relations entre individus dans une société politique. A priori, ce qui est juste, c'est ce qui est conforme à la justice, donc au principe d'égalité qui veut qu'on rende à chacun ce qui est le sien (ou qu'on ôte à celui qui a trop pour donner à celui qui n'a pas assez).
Le premier problème du sujet tient à la totalité qui est présentée au départ. On voit bien que certaines choses sont permises, qui semblent cependant injustes, et peut-être précisément même à cause de la manière dont fonctionne le droit. On creuserait par là l'opposition entre le droit (politique), et la justice morale : le droit valant pour tous de manière indifférente va peut être se heurter à certaines conceptions de la justice, qui seraient différentes selon les individus. Dès lors, je pourrais avoir un droit, sans que quelqu'un d'autre estime que ce que je fais est juste : cela pourrait ainsi créer des tensions, qui mettraient à mal le but du droit (vivre ensemble).
Deuxième problème possible : si ce que j'ai le droit de faire n'est pas juste, on ne comprend plus à quoi sert alors cette autorisation que j'ai à faire telle ou telle action. Pourquoi celle-ci et pas telle autre ? N'est-ce pas précisément parce que le législateur se fonde sur une certaine conception de ce qui est bien ? Ici, on réfléchirait à la fondation du droit : pour qu'il soit créé, ne doit-on pas viser la justice ? Et s'il ne l'atteint pas, que j'ai des droits, sans que ceux ci soient réellement justes, que faire de ces droits ?", analyse notre prof de philo.
- Les pièges à éviter
"Le premier tient à l'inscription du sujet dans son champ. On l'a dit, il semble être un sujet de philosophie politique. Or, la notion de justice a aussi un sens dans le champ moral : ce qui est juste n'est plus alors ce qui est conforme au principe d'égalité, mais ce que je pense, moi, être bon. Ainsi, il ne fallait pas hésiter à voir que le sujet demandait aussi à être renvoyé vers cette dimension morale, quitte à distinguer ce qui est juste du point de vue légal, de ce qui est juste du point de vue moral (et qu'on appellera alors le légitime).
Deuxième piège possible : ne pas analyser suffisamment l'idée d'un 'droit à faire quelque chose' : ce droit n'est pas simplement un pouvoir que j'aurais. C'est un pouvoir autorisé par une institution légale. De ce point de vue, il est déjà limité (le droit à faire quelque chose, si c'est vraiment un droit, n'est pas la capacité qu'on aurait à faire n'importe quoi). Ensuite, le droit à faire quelque chose n'est pas synonyme de faire quelque chose : je peux avoir un droit, sans l'exercer. Il ne s'agissait donc pas non plus de se demander si tout ce que je fais, est juste, mais bien si tout ce que j'ai le droit de faire, l'est. Les deux premiers pièges consistent, en réalité, dans la même difficulté à ne pas maîtriser les définitions, et ainsi à ne pouvoir, ni clarifier le discours, ni en penser tous les aspects."
- Les auteurs à citer
"On pouvait convoquer Hobbes, pour qui le droit et la justice sont synonymes. Dans ce cas, dès lors qu'on fait une action selon le droit, on fait aussi une action juste. Aristote permettait quant à lui de penser deux formes de justice, pour ne pas spontanément réduire la justice à son seul sens d'égalité (la distinction entre justice distributive et commutative permettait de voir que pour que l'une des deux s'applique, il faut y réfléchir, et donc qu'il ne s'agit pas simplement pour être juste, de suivre le droit). Platon, via le mythe de Gygès, nous rappelle qu'un homme ayant un pouvoir total de tout faire serait injuste. On pouvait donc l'utiliser pour indiquer la nécessité d'un droit, afin d'accéder à la justice (donc, de choses permises, et d'autres ne l'étant pas, précisément pour éviter ce pouvoir total de tout faire qui entraîne l'injustice). Enfin, Kant, et l'idée que la justice réside, non pas dans l'application pure du droit, mais dans la volonté de rendre son action conforme à celui-ci, permettait de réfléchir aux intentions morales qu'il faudrait pour être réellement juste", détaille Marie-Camille Beignet.
- La référence à l'actualité
"On pouvait renvoyer au projet de moralisation de la vie politique, qui suppose que ce que certains ont actuellement le droit de faire (comme le cumul des mandats), n'est pas juste, et réfléchir ce point : de quel point de vue suppose-t-on que ce qui est actuellement légal, n'est pas juste ?", explique l'enseignante de Blois.