Lunettes noires, cheveux gominés, barbe impeccablement taillée et costume de grande marque sur mesure… Le moins que l'on puisse dire, c'est que Teodorin Obiang soigne son style et ne regarde pas à la dépense. C'est justement ce que lui reproche la justice française, qui l'accuse de s'être frauduleusement bâti en France un patrimoine considérable.
Lundi, le fils du président de Guinée équatoriale Teodoro Obiang, et promu vice-président du pays par son père, a de nouveau rendez-vous avec le tribunal correctionnel de Paris, six mois après un report accordé pour lui permettre de préparer sa défense. Mais comme lors de la dernière audience, le fils gâté n'a pas fait l'honneur de sa présence, et ses avocats ont, une fois encore, demandé le report du procès, prévu jusqu'au 6 juillet.
Un train de vie de pharaon
Ancien ministre de l'Agriculture et des Forêts, Teodorin Obiang, 47 ans, est poursuivi pour blanchiment d'abus de biens sociaux, de détournement de fonds publics, d'abus de confiance et de corruption. Il aurait en effet détourné à son profit 110 millions d'euros provenant du Trésor public de Guinée équatoriale, petit pays pétrolier où la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. Avec cette somme colossale, le fils du président, éternel célibataire, s'est constitué un patrimoine digne des plus grandes stars d'Hollywood.
Dans cette affaire, le bien le plus emblématique est un hôtel particulier, situé avenue Foch, à Paris. Un palais de 4.000 m², 101 pièces sur cinq étages, avec à l'intérieur un hammam, une salle de sport, une discothèque, une salle de cinéma… Dans les salles de bain, les robinets sont recouverts de feuilles d'or. En février 2012, pas moins de neuf jours sont nécessaires aux agents de l'Office central de répression de la grande délinquance financière pour effectuer la perquisition complète de cet immeuble, estimé à 107 millions d’euros. Environ 200 m³ de biens de la famille sont saisis, pour un montant total de 40 millions d’euros.
Des œuvres d'art, du matériel Hifi, des grands vins, ou encore une trentaine de voitures de luxe (Ferrari, Porsche, Bentley, Rolls ou Bugatti) complètent la liste gargantuesque des acquisitions du quadragénaire. Son goût prononcé pour la haute-couture le conduit également à acheter une partie de la collection Yves Saint Laurent-Pierre Bergé pour 18,3 millions d'euros, et à régler régulièrement des dizaines de costumes ou de montres de luxe, en cash, dans les boutiques de la prestigieuse avenue Montaigne, à Paris.
Une longue et intense bataille judiciaire
Il a fallu un très long bras de fer juridique pour en arriver à ce procès des biens mal acquis. En effet, cela fait plus de dix ans que des associations se battent pour traduire le fils Obiang devant la justice.
En mars 2007, trois associations (Sherpa, Survie et la Fédération des Congolais de la diaspora) avaient déposé des plaintes visant des chefs d'Etat africains accusés d'avoir bâti en France une fortune avec de l'argent public détourné. Or, l'enquête préliminaire avait alors été classée sans suite. Un an et demi plus tard, c'est l'association Transparency International qui avait apporté son concours, en déposant plainte aux côtés de Sherpa. Là, la justice française s'était décidée à mener l'enquête. Et les différentes perquisitions menées dans plusieurs propriétés de la famille Obiang avaient conforté les soupçons.
Mais depuis, la défense du vice-président de Guinée équatoriale use de tous les outils à sa disposition pour ralentir, voire empêcher la tenue du procès. En mai 2016, le parquet national financier requiert le renvoi en correctionnelle de Teodorin Obiang. Quelques jours plus tard, la Guinée équatoriale demande à la Cour internationale de justice (CIJ) que la France mette fin aux procédures contre le fils du président, invoquant son immunité. Deux mois et demi plus tard, celui qui est devenu entre temps vice-président, est renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris. Mais à l'ouverture du procès, le 4 janvier 2017, ses avocats obtiennent un délai pour préparer la défense de leur client.
Teodorin Obiang encourt jusqu'à dix ans d'emprisonnement, ainsi qu'une amende pouvant aller jusqu'à 50 millions d'euros.
Pourquoi un tel procès se tient-il en France ?
Tout commence avec un rapport intitulé "Biens mal acquis… profitent trop souvent", publié par CCFD-Terre Solidaire (Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement) en mars 2007. L'ONG française y dénonce "la fortune des dictateurs", acquise par corruption et détournement de fonds publics, et "les complaisances occidentales" à leurs égards. Les dirigeants du Burkina Faso, du Gabon, d'Angola, du Congo-Brazzaville et de Guinée équatoriale y sont cités. Selon le rapport, ils auraient acquis de nombreux biens en France.
C'est en s'appuyant sur ce document que les ONG Sherpa, Survie et la Fédération des Congolais de la diaspora, ont déposé une première plainte, en France, la même année. La loi française permet de poursuivre des étrangers qui commettent des délits sur son territoire.