Des canetons broyés, des bovins ou des porcs saignés alors qu'ils bougent encore, un agneau écartelé vivant... Les images-chocs révélées ces derniers mois dans certains abattoirs français avaient suscité beaucoup d'émotion, jusqu'à entraîner un plan gouvernemental en faveur du bien-être animal. Jeudi soir, l'Assemblée nationale a ainsi voté, de façon plutôt inattendue, l'obligation d'installer des caméras de surveillance dans les abattoirs à partir de 2018, à l'issue d'une expérimentation d'un an. Les associations de protection animale ne cachent pas leur satisfaction… mais restent sur leur garde. Car de l'avis de tous, la vidéosurveillance est loin d'être la panacée.
"Il ne faut pas être naïf". Selon un sondage Ifop pour la Fondation Brigitte Bardot et l'association Droits des animaux publié en octobre dernier, 85% des Français sont favorables à cette installation."C'est quand même une belle victoire pour les animaux", se réjouit Agathe Gignoux, chargée d'affaires publiques au CIWF, une ONG qui lutte notamment contre les dérives observées dans certains abattoirs. "Mais il ne faut pas être naïf. On reste déçu d'avoir vu plusieurs propositions rejetées."
Parmi elles figure la présence permanente et obligatoire d'un agent des services vétérinaires aux postes d'étourdissement et de mise à mort dans les abattoirs de boucherie de plus de 50 salariés. "Cette mesure ne nous satisfaisait pas pleinement, mais cela permettait d'aller dans le bon sens", juge Agathe Gignoux, qui regrette également la non-création de comités locaux au sein des établissements d'abattage. Quant à la question de l’abattage rituel, halal ou casher, lors duquel l'animal n’est pas étourdi avant la mise à mort, elle est complètement absente du texte adopté.
Un contrôle qui ne change rien ou presque ? Jugée incomplète, la proposition de loi portée par Olivier Falorni (DVG) est donc loin de satisfaire pleinement les associations. Les images captées par les caméras, par exemple, seront destinées aux responsables de protection animale (RPA), salariés des abattoirs qui représentent environ un millier de personnes en France, ainsi qu'aux préposés vétérinaires (entre dix et vingt sur les plus grands sites), qui dépendent de l'État, quand beaucoup militaient pour une autorité administrative indépendante et externe.
"Le contrôle des abattoirs est déjà dans les mains des services vétérinaires et pour autant, on a pu détecter, par les vidéos qu'on a montrées, plusieurs actes non conformes", assure Brigitte Gothière, cofondatrice et porte-parole de l’association L214. Des anomalies ont ainsi été constatées dans 31% des abattoirs du pays, selon un rapport du ministère de l'Agriculture, rendu public en juillet 2016. "On est donc plutôt réservé sur ce contrôle vidéo. C'est un pas en avant, mais un petit pas", juge-t-elle.
"On sent bien qu'il y a une volonté de rassurer, d'attirer des consommateurs. Ce n'est pas cette logique qu'on voudrait voir prédominer, mais une logique qui s'intéresse réellement aux intérêts des animaux", continue la militante.
D'autres solutions prônées. Les professionnels du secteur eux-mêmes reconnaissent que la surveillance vidéo n'est pas la meilleure option pour mettre un terme aux dérives. "Cela n'apporte rien en termes de protection animale et cela pourrait même avoir des effets pervers sur les salariés", relève Mathieu Pecqueur, directeur général adjoint de Culture viande, le syndicat des abatteurs et découpeurs industriels.
"Avant de vouloir tout changer, il faut que les hommes soient pleinement à l'aise dans leurs fonctions, et on ne l'est pas avec une caméra au-dessus de soi. C'est aussi une question de formation et de compétence", assure-t-il. Actuellement, les RPA reçoivent une formation de deux jours, dispensée par des organismes agréés par le ministère de l'Agriculture. Mais cette formation n'est en aucun cas pratique. De plus, "un contrôle vidéo n'empêche pas les actes de maltraitance, il permet de les constater a posteriori... Les vidéos tournées par les anti-viandes en sont la preuve criante", estime Culture viande.
"Je crois plus à la pertinence de lanceurs d'alerte formés et protégés qu'à un système de vidéosurveillance", a quant à lui affirmé Dominique Langlois, patron d'INTERBEV, l'Association Nationale Interprofessionnelle du Bétail et des Viandes, pas hostile cependant à une expérimentation. Professionnels et ONG sont donc d'accord sur un point : la vidéo ne garantit pas l'absence de dérives ; tous plaident pour davantage de présence humaine.
Tout ça pour rien ? Et à défaut de ne pas avancer, les associations craignent même d'être obligées de reculer. Car il est encore loin d'être certain que la proposition de loi puisse être définitivement adoptée d'ici à la fin de la législature, dans six semaines. "On s'inquiète de la suite", confie la porte-parole du CIWF. "Mais on mettra la pression pour que la nouvelle mandature ne laisse pas tomber cette mesure". Jeudi, seuls 32 députés étaient présents dans l'hémicycle au moment du vote…