Manœuvre déloyale de la police ou preuve incontestable ? La Cour de cassation a examiné mardi la demande de deux journalistes français mis en examen pour tentative de chantage sur le roi du Maroc, qui veulent faire annuler deux enregistrements.
Simple transaction ou chantage ? Catherine Graciet et Eric Laurent sont soupçonnés d'avoir voulu extorquer de l'argent au Maroc en échange de l'abandon d'un livre censé contenir des révélations gênantes pour Rabat. Tous deux contestent avoir été à l'initiative d'un chantage, évoquant une transaction qui s'est nouée librement. Les deux journalistes ont été enregistrés à leur insu lors d'entrevues avec un émissaire de Rabat, l'avocat Hicham Naciri : deux fois avec le seul Eric Laurent, la troisième fois en présence également de Catherine Graciet. Ils ont été interpellés au sortir de ce dernier entretien, le 27 août 2015, porteurs de 80.000 euros en liquide.
"Ingénieur du son". Catherine Graciet et Eric Laurent ne contestent pas le premier enregistrement, en grande partie inaudible, mais les deux suivants, réalisés alors que l'avocat marocain avait déjà saisi la justice. Si la loi permet à des particuliers de rassembler des preuves comme bon leur semble, par exemple par des enregistrements clandestins, elle encadre au contraire strictement les enquêteurs. Or, pour Me Emmanuel Piwnica, qui défend la demande des journalistes, l'émissaire du Maroc a "fait exactement ce que lui demandaient" les enquêteurs français. Loin d'agir comme simple particulier, Hicham Naciri se serait "transformé en ingénieur du son" pour la police, ce qui "méconnaît les règles de la procédure pénale".
"Agir dans l'ombre". Face à lui, Me Patrice Spinosi a souligné que, s'il y avait bien eu "concertation" entre les enquêteurs et Hicham Naciri, les enregistrements avaient été réalisés "à l'initiative" de ce dernier, sur son propre téléphone portable, sans assistance extérieure, avec des policiers réduits au rang de "spectateurs". Me Spinosi a relevé par ailleurs qu'une annulation de ces enregistrements enverrait aux victimes de chantage le message qu'il vaut mieux "agir dans l'ombre" pour se défendre, plutôt que prévenir la police.
L'avocat général a lui rejeté la demande d'annulation: "Monter une souricière pour interpeller un maître-chanteur n'est nullement déloyal." La décision de la plus haute juridiction française sur cette demande d'annulation, qui affaiblirait la procédure si elle était suivie, sera rendue fin septembre.