"C'est normal, c'est la procédure classique", a sobrement commenté Marine Le Pen, vendredi matin. Selon les informations d'Europe 1, les juges d'instruction qui enquêtent sur les soupçons d'emplois fictifs de plusieurs assistants FN au Parlement européen ont demandé à ce dernier de lever l'immunité parlementaire de l'eurodéputée. Révélée à une dizaine de jours du premier tour de l'élection présidentielle, quel impact cette procédure peut-elle avoir pour la candidate du Front national ? Europe1.fr fait le point.
- Pourquoi cette requête intervient-elle maintenant ?
Dans ce dossier, Marine Le Pen a déjà fait l'objet d'une enquête de l'Office européen de lutte anti-fraude (OLAF), qui lui a réclamé, comme à cinq autres députés européens, de rembourser les salaires de ses "assistants", soit 298.400 euros. La dirigeante frontiste a refusé d'accéder à cette demande. Depuis le mois de février, Strasbourg ponctionne donc une partie de son salaire de député.
Mais depuis le 31 mars 2015, une enquête est également ouverte par la justice française dans ce dossier, pour abus de confiance et recel, escroquerie en bande organisée, faux et usage de faux et travail dissimulé - c'est dans ce cadre que la demande de levée d'immunité a été formulée. Pourquoi deux ans après ? Parce que l'enquête est restée au niveau du parquet jusqu'à l'automne dernier, quand le procureur a décidé de transmettre le dossier à des juges d'instruction. C'est ce qui explique le "timing" de cette requête, à quelques jours du premier tour de l'élection présidentielle.
- Comment se passe la procédure de levée d'immunité ?
La demande de levée d'immunité de Marine Le Pen - comme celle d'une autre députée européenne FN, Marie-Christine Boutonnet - a été adressée au parquet de Paris puis au parquet général, qui doit les transmettre à la Chancellerie, avant d'être envoyée au Parlement européen - une étape pas encore franchie. Une fois la requête parvenue à Strasbourg, son examen se fera en plusieurs étapes.
D'abord, la demande doit être "annoncée" en séance plénière, rappelle le site du Parlement européen. Elle est ensuite examinée par la commission des Affaires juridiques, qui peut "demander des éclaircissements à l'autorité nationale demandeuse" et entend généralement le député concerné. Cette commission présente enfin ses résultats devant l'ensemble du Parlement et chaque député vote individuellement. "Le député européen conserve son siège, même s'il perd son immunité", rappelle Strasbourg.
- Combien de temps cela prend-il ?
Selon le Parlement européen, 15 demandes de levée d'immunité ont été examinées en 2016. L'examen de chaque dossier a pris entre quatre et huit mois, selon les cas. Concernant Marine Le Pen, un précédent peut servir d'élément de comparaison : le 5 octobre 2016, la justice française a déjà demandé que la députée perde sa protection dans une autre affaire, celle de la diffusion d'images d'exactions du groupe Etat islamique sur Twitter. La procédure a duré près de cinq mois : la commission des Affaires juridiques s'est prononcée pour la levée de l'immunité le 28 février dernier et le Parlement a rendu la même décision cinq jours plus tard…. sans pour autant mettre fin à la procédure : selon les informations d'Europe 1, l'accord formel de Strasbourg n'est pas encore parvenu à la justice française.
- Si le Parlement répond favorablement aux juges français, Marine Le Pen sera-t-elle obligée de se présenter devant la justice ?
Non. La candidate, qui a déjà refusé de se rendre à plusieurs convocations dans ce dossier, assurant attendre la fin des élections législatives, n'est pas tenue de se présenter devant les juges. En revanche, une éventuelle levée de son immunité parlementaire la mettrait sur un pied d'égalité avec les autres justiciables : si elle refusait de répondre aux convocations, la députée européenne pourrait y être contrainte par des mesures de coercition.
- Et si Strasbourg refuse de lever son immunité ?
De rares précédents existent dans ce sens : en février dernier, le Parlement européen avait refusé de lever l'immunité parlementaire de Florian Philippot, poursuivi par le Qatar pour des propos tenus sur Radio Classique. "C'est souvent le cas dans les affaires de diffamation", expliquait alors au site Euractiv Virginie Rozière, eurodéputée française du Parti radical de gauche. "La jurisprudence du Parlement européen veut que l'institution protège ses élus dans le cas de prises de position politique effectuées dans le cadre de leur mandat."
Si toutefois l'immunité de Marine Le Pen n'était pas levée, l'enquête ne serait pas pour autant abandonnée, pour plusieurs raisons. D'abord, elle ne concerne pas uniquement la candidate à l'élection présidentielle mais plusieurs députés et leurs assistants, dont deux ont déjà été mis en examen. Ensuite, l'immunité ne dure que le temps du mandat : si Marine Le Pen n'était pas réélue en 2019, elle pourrait être forcée de se présenter devant les juges… à moins qu'elle n'y consente avant cela. Vendredi, son avocat a rappelé que la candidate avait pris l'engagement de répondre aux convocations de la justice "après les législatives, sous réserve des résultats de l'élection présidentielle."