Quelques jours à peine après le début de l’Euro 2016, la compétition était entachée par de violents affrontements entre hooligans russes et britanniques à Marseille. Des incidents qui ont ajouté à la tension ambiante face à la menace terroriste. Ces heurts qui s’inscrivent dans la continuité de deux années marquées par des événements violents sans précédents : attentats contre Charlie hebdo, attaques terroristes du 13 novembre.
Une accumulation de faits singuliers perçus qui contribuent à la construction d’un climat de peur et de tensions inédit en France. Mais vivons-nous réellement une période de violences sans précédent ? Le sociologue Francis Chateauraynaud, directeur d’études à l’Ecole des hautes études de sciences sociales (EHESS), temporise notre vision catastrophiste de la situation.
D’une manière générale, peut-on dire que nous connaissons depuis un ou deux ans une période particulièrement violente en France ?
Bien sûr, des événements extrêmes ont eu lieu et ont contribué à faire basculer dans un climat très particulier et même inédit sous la Vème République. Même si la guerre d’Algérie, puis mai 68 et différents moments de montée du terrorisme, indiquent que la violence, et la violence politique en particulier, ne datent pas d’aujourd’hui. On se souvient des assassinats d’Action directe, de l’attentat de la rue de Rennes en 1986, des attentats du GIA, de l’ambiance post-11-Septembre, de l’embrasement des cités de banlieue en 2005 ou encore de l'attaque de Mohammed Merah à Toulouse en 2012.
Certains analystes parlent d’une ère d’hyperviolence, qui croise une logique de surenchère, à la mise en circulation de toutes sortes d’images et de vidéos, de propos et de diatribes, qui ne sont pas toujours le fait d’illuminés. A cela s’ajoute le discours de politiques abusant de mots et de qualificatifs interprétés comme des provocations (l’axe du mal de Bush, le nettoyage des cités au Karcher de Sarkozy).
" Le sentiment d’un glissement perpétuel vers le pire "
Pourquoi certains Français ont-ils ce sentiment de vivre une période particulièrement violente ?
L’Etat montre de plus en plus de difficultés à remplir ses fonctions régaliennes de sécurité des biens et des personnes, par perte de légitimité des décideurs politiques. Désormais on gouverne à vue, à toute allure, on légifère n’importe comment, après chaque événement (pas moins de douze lois pour lutter contre le terrorisme en quelques années). Les tensions liées aux crises sociales et économiques exacerbent les conflits et provoquent des défiances de plus en plus manifestes, à commencer entre des blocs de populations qui, jusqu’à la fin des années 1970, n’étaient pas constituées en communautés ethnicisées ou liées à des religions. Le croisement des problèmes sociaux et des tensions géopolitiques (Moyen-Orient en particulier) a été clairement utilisé par des groupes d’influence au point de saturer l’espace des représentations.
Pour le reste, la délinquance ordinaire ou les drames qui alimentent les faits divers ne sont pas statistiquement plus marquants, mais enrevanche des acteurs communiquent plus dessus et en font des montagnes. Enfin, comme on ne traite pas des trains qui arrivent à l’heure dans les medias, les événements violents sont particulièrement mis en avant et passent en boucle ce qui donne le sentiment d’un glissement perpétuel vers le pire. S’y ajoutent d’autres menaces, comme les risques sanitaires et environnementaux, du climat aux virus émergents qui créent une sorte d’inquiétude permanente, relayée par les pouvoirs publics. Tout ceci finit par faire masse ou faire système.
" L’état de crise permanent transforme le gouvernement en organe de communication de crise "
Peut-on mettre sur le même plan la violence des attentats, des mouvements sociaux, des hooligans, de la police ou encore des intempéries ?
A l’évidence non. Ilfaut éviter les amalgames. Tous ces processus n’obéissent pas aux mêmes logiques, n’engagent pas les mêmes responsabilités, les mêmes histoires. La violence du changement climatique n’est pas de même facture que celles de hooligans ; même si d’aucuns diront que ces derniers naissent avec la fin de la classe ouvrière anglaise et le thatchérisme et que le changement climatique est lié à la globalisation économique accélérée.
Mais, sous l’amalgame trop facile, ce qui est frappant c’est la sorte d’état de crise et d’urgence permanent qui transforme le gouvernement en organe de communication de crise. Cela permet finalement de ne pas traiter les problèmes de fond, de ne pas prendre du recul et d’éviter de débattre réellement des options à toutes les échelles.