"Avant, en cas de harcèlement, je pouvais rompre mon contrat de travail. Mes indemnités prud’homales n’étaient pas plafonnées. Mais ça, c’était avant". Le slogan est celui du collectif #OrdonnancesNonMerci, qui lance cette semaine une campagne pour dénoncer certains points des ordonnances réformant le code du travail jugés néfastes pour les victimes de harcèlement sexuel. Le ministère, lui, a réagi dès mardi après-midi, dénonçant des informations "totalement inexactes" véhiculées par ce collectif. Qui a raison ? Décryptage.
Qu’est-ce qui est reproché aux ordonnances ?
Les ordonnances plafonnent à 20 mois de salaire (pour 29 mois d’ancienneté) les indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif. Or, ce plafonnement s’appliquera aussi à la "prise d'acte", une procédure qui permet à un salarié de prendre l'initiative de la rupture du contrat de travail, tout en imputant la responsabilité à l'employeur. Après le non-paiement de salaire, une modification du contrat sans l'accord du salarié, mais aussi un harcèlement sexuel ou une discrimination, le ou la salarié(e) peut en quelque sorte provoquer lui-même son licenciement abusif et obtenir des indemnités prud’homales. C’est au conseil de prud’hommes de vérifier que les accusations envers l’entreprise sont fondées.
"C'est une procédure rapide, préconisée pour extraire en urgence une victime du contexte de son harcèlement. Après l'envoi de la lettre, elle ne met plus les pieds au travail", explique à franceinfo Marilyn Baldeck, déléguée générale de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). L’AVFT indique également que des victimes de harcèlement ont pu obtenir jusqu'à 24 mois de salaires d'indemnités grâce à une telle procédure, sans pour autant avoir une ancienneté conséquente au sein de leur entreprise.
N’y a-t-il pas une exception pour le harcèlement ?
Les ordonnances prévoient, toutefois, dans un autre chapitre (L.1235-3-1), que le plafond ne concernera pas les licenciements faisant suite "à un harcèlement moral ou sexuel". Pourquoi les associations sont-elles donc en colère ? Car les textes ne précisent pas dans quel contexte devra s'appliquer cette exception. En effet, il existe deux sortes de licenciement suite à un harcèlement sexuel : le premier intervient lorsqu'un médecin juge que le ou la salarié(e) est "inapte" suite à ce harcèlement, le second fait suite à une "prise d'acte". Or, l'article L.1235-3-1 des ordonnances ne précise pas s'il s'applique ou non à la "prise d'acte".
Selon la direction générale du Travail (DGT), dans les deux cas, les victimes seront exemptées de plafond. "Le barème ne s'appliquera pas" si le juge reconnaît que la "prise d'acte" est bien "fondée sur des faits de harcèlement", indique-t-on à la DGT. Une interprétation confirmée par les avocats spécialistes du droit du travail Déborah David (Jeantet) et Sylvain Niel (Fidal), contactés par l'AFP.
" Tout cela finira dans cinq ou six ans devant la Cour de cassation qui devra trancher "
"La ‘prise d'acte’ doit nécessairement être requalifiée par un juge, soit en démission lorsqu'elle n'est pas fondée, soit en licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsqu'elle est fondée. Donc le barème s'applique lorsqu'il n'y a pas de circonstances particulières, mais il est neutralisé lorsque la rupture du contrat de travail est intervenue en raison de faits de harcèlement moral ou sexuel", explique l’avocate Déborah David.
Reste que les associations féministes ont raison de pointer un certain flou juridique. L’article L.1235-3-1 des ordonnances, celui qui exclut les victimes du harcèlement du plafonnement, est différent du L.1235-3-2, évoquant le cas particulier des "prises d’acte" et ne mentionnant, lui, aucune exception. "Cela crée un conflit juridique. Certains conseil des prud'hommes vont se baser sur le premier article, quand d'autres se fonderont sur le deuxième", redoute la déléguée générale de l'AVFT interrogée par franceinfo. "Les avocats des employeurs plaideront l'article qui permet le plafond et ceux des salariés plaideront le harcèlement. Tout cela finira dans cinq ou six ans devant la Cour de cassation qui devra trancher", regrette Marilyn Baldeck.
La fusion des CSHCT inquiète aussi
Un autre point des ordonnances suscite l’inquiétude des associations féministes : la fusion du CHSCT, le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, avec les autres instances de représentation du personnel. Le CHSCT avait en effet le pouvoir, au sein des entreprises, de diligenter des enquêtes auprès de cabinets extérieurs pour crédibiliser (ou non) les accusations de harcèlement sexuel. Et les associations craignent que sa dissolution dans une instance globale ne lui fasse perdre cette capacité d’action. "La mise à mort des CHSCT est un scandale. Cela porte un coup d’arrêt à la montée en puissance d’un outil dont l’on se servait de plus en plus", dénonçait, début septembre, Marilyn Baldeck dans Bastamag.