Plus de dix jours après l'agression de quatre de leurs confrères à Viry-Châtillon, dans l'Essonne, les gardiens de la paix ne décolèrent pas. Malgré les menaces de sanctions de leur hiérarchie et la mobilisation du gouvernement, plusieurs rassemblements spontanés ont à nouveau été organisés partout en France, dans la nuit de mercredi à jeudi. Parmi les revendications des policiers : une refonte des conditions dans lesquelles ils se trouvent, aux yeux de la loi, en état de légitime défense. Le débat ne date pas d'hier, mais trouve un nouveau souffle dans le contexte récent d'agressions fréquentes.
Aucun régime particulier. "Il est anormal que les policiers soient soumis à la même règle qu'un simple citoyen alors qu'ils sont formés à l'usage de leur arme et se trouvent confrontés tous les jours à la violence de la rue", explique Frédéric Lagache, secrétaire général adjoint du syndicat Alliance, interrogé par Le Figaro. En effet, contrairement aux gendarmes, les policiers ne bénéficient d'aucun régime particulier en matière de légitime défense.
Comme tout citoyen, les gardiens de la paix sont renvoyés à l'article 122-5 du code pénal, qui accorde l'irresponsabilité à "la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui". Le texte précise que les moyens employés doivent être proportionnels à "la gravité de la menace".
Une exception pour le terrorisme. Depuis 2012 et la mise en examen d'un policier qui avait tué un malfaiteur armé d'une balle dans le dos, à Noisy-le-Sec, des voix s'élèvent régulièrement pour demander la création d'un régime spécifique. Une revendication en partie satisfaite en juin dernier, lors de l'adoption de la loi renforçant la lutte contre le crime organisé. Son article 51 introduit de nouvelles conditions d'irresponsabilité pénale pour les policiers : ceux-ci sont considérés comme en situation de légitime défense lorsqu'ils utilisent leur arme "dans le but exclusif d'empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d'un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtres venant d'être commis (...)". Dans le viseur du législateur : les attaques de masses, comme celles de Charlie Hebdo ou du 13-Novembre.
Mais cela reste insuffisant, pour plusieurs représentants syndicaux et responsables politiques. "Aujourd'hui, il y a une telle tension, une telle situation, il y a de tels risques, que quelqu'un qui porte un uniforme est exposé", a estimé Nathalie Kosciusko-Morizet, candidate à la primaire de la droite, mercredi. "Dans certaines situations (...) on peut considérer que le risque est tel pour lui qu'on ne va pas attendre qu'il se fasse tirer dessus", a-t-elle poursuivi. Le député LR Eric Ciotti, à l'origine de deux propositions de loi rejetées par l'Assemblée nationale sur le sujet, avait tenu un discours similaire, mardi sur BFM TV, arguant qu'un policier "en danger" devait pouvoir "se défendre" après avoir effectué deux tirs de sommation.
Une "surenchère démagogique" pour la gauche. "On se focalise sur un point qui n'apporterait rien de plus à la sécurité des policiers", répond Pascal Popelin, rapporteur de la loi votée en juin dans le contexte des attentats. Interrogé par Europe1.fr, le député PS, spécialiste des questions de sécurité, dénonce une "surenchère démagogique" : "On voit bien que c'est une revendication de seulement certains syndicats et pas d'autres". Alliance et Synergie-officiers sont ceux qui portent le plus fréquemment ces revendications. D'après le rapporteur, un régime de légitime défense plus large pourrait, au contraire, "placer les policiers dans une situation d'insécurité judiciaire". "Il ne faut pas que le législateur crée un flou qui pourrait être préjudiciable aux fonctionnaires", explique-t-il. "Aller plus loin, ce serait mettre la justice dans une position de difficulté d'interprétation, avec les risques de condamnation qui s'en suivent."
Force est de constater que la jurisprudence existante est plutôt favorable aux forces de l'ordre. En 2012, une mission initiée par le ministère de l'Intérieur sur le sujet concluait que la justice prenait en compte "les sujétions particulières des forces de l'ordre (...) parce qu'elles interviennent dans des circonstances particulières, difficiles, que le juge apprécie au cas par cas".