C'est un vieux serpent de mer : faut-il donner des devoirs à la maison aux collégiens ? Le nouveau ministre de l'Éducation a répondu "non" dans une interview au Point mardi soir. Ce que veut Jean-Michel Blanquer, c'est que les devoirs soient faits au sein du collège justement, afin d'éviter que les inégalités se creusent entre les élèves qui peuvent être aidés au sein de leur foyer et ceux qui ne le peuvent pas.
Les parents d'élèves applaudissent. Ce nouveau dispositif, qui s'appellera "Devoirs faits à l'école", était particulièrement attendu par les associations de parents d'élèves, dont la PEEP (Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public), qui en avait déjà fait la demande au moment de la réforme du collège. "Cela peut vraiment permettre de lutter contre les inégalités sociales et culturelles des familles", explique sa présidente, Valérie Marty, au micro d'Europe 1. Un problème d'autant plus sérieux que le Conseil national de l'évaluation du système scolaire (Cnesco) a rappelé en septembre dernier que la France était "le pays le plus inégalitaire de l'OCDE" en matière scolaire.
" Dans 40% des cas, le soutien parental n'excède pas quinze minutes "
La maison accroît les inégalités, l'école les réduit.L'aide apportée par certains parents à la maison ne suffirait donc pas à gommer les inégalités. Selon un sondage OpinionWay réalisé en 2016, seuls 6% des collégiens assurent d'ailleurs recevoir "systématiquement" de l'aide de leurs parents, quand 61% en bénéficient mais "uniquement" quand ils le demandent. Pire, cela risquerait en fait de les accroître. Dans 40% des cas, le soutien parental n'excède pas quinze minutes, faute de temps ou d'aisance à expliquer les maths ou la grammaire. Quant aux professeurs particuliers, cela représente souvent une dépense conséquente que de nombreuses familles ne peuvent se permettre de faire.
Des enseignants, des retraités ou des étudiants. L'idée, c'est donc que ces devoirs soient faits à l'école, avec des adultes qui connaissent les programmes, et dans le cadre d'un temps spécifique proposé à tous. Plus qu'un temps d'étude, il s'agit ici d'accompagner l'élève dans son travail. Le calendrier et les modalités du dispositif seront précisés dans les semaines qui viennent, mais plusieurs pistes ont déjà été évoquées par Emmanuel Macron durant sa campagne. Ce temps d'aide aux devoirs pourrait notamment être assuré par des enseignants retraités ou actifs payés en heures supplémentaires, ou encore par des étudiants.
C'est sur ces derniers que s'appuie depuis 2007 l'association ZupdeCo, qui lutte contre le décrochage scolaire, et qui intervient dans une quinzaine de départements, auprès de quelque 2.200 collégiens. Dans certains collèges, tels que l'établissement parisien François-Villon, dans le 14ème arrondissement, des dizaines d'étudiants bénévoles retournent ainsi à l'école afin d'aider leurs cadets à apprendre leurs leçons.
Objectif brevet. Côté élèves, les résultats se font clairement sentir. "On s'occupe d'enfants en classe de sixième ou de cinquième, qui ont entre 6 et 10 de moyenne. On les suit pendant trois ou quatre ans avec cette garantie : ils auront leur brevet et décrocheront leurs premiers vœux à la sortie du collège", assure François-Afif Benthanane, le fondateur de ZupdeCo.
"Apprendre à apprendre". "Ce qui est important, c'est surtout qu'il y ait un moment dédié à l'organisation du travail personnel : comment s'organiser dans son travail, comment apprendre à apprendre", plaide de son côté Valérie Marty. "Je pense que les élèves doivent être aidés et guidés. Cela leur permettra, quand ils arriveront au lycée, d'être tout à fait organisés et performants."
" Les élèves perdront moins de temps tout seuls devant un exercice "
Moins de temps perdu devant les exercices. Et à ceux qui expliquent qu'un tel temps supplémentaire passé au collège risquerait de fatiguer des élèves déjà épuisés par leurs rythmes scolaires, cette dernière répond : "Au contraire, je pense que cela va faciliter leur travail. Les élèves rentreront chez eux débarrassés de leurs devoirs. Ils auront été aidés et perdront moins de temps tout seuls devant un exercice lorsqu'ils ne savent pas faire. Ce ne sont que des choses positives". "De toute façon, ils doivent faire leurs devoirs", acquiesce François-Afif Benthanane. "Ces temps d'étude accompagnés peuvent par ailleurs se dérouler entre 9 heures et 10 heures du matin, s'ils ont un trou dans leur planning par exemple", rappelle cet ancien entrepreneur, qui a lui-même quitté le système scolaire avant le bac.
Un système gagnant-gagnant. Quant aux étudiants qui acceptent de fournir un peu de leur temps pour aider les élèves en difficulté, là aussi, les bénéfices paraissent multiples. "Ils s'aperçoivent vite qu'en plus de donner, ils reçoivent également", explique le fondateur de ZupdeCo. "Les étudiants en ressortent plus patients, plus pédagogues. Pour certains, c'est aussi une découverte des quartiers populaires", raconte-t-il.
Si son association se concentre exclusivement sur des petits groupes d'élèves (de un en tutorat individuel à trois ou quatre en tutorat collectif), François-Afif Benthanane veut croire en la volonté politique du gouvernement : "L'important, c'est de lancer une dynamique", avance-t-il. Et de rappeler que l'échec scolaire coûte environ 25 milliards d'euros par an à la collectivité.
À l'école primaire, les devoirs sont déjà interdits
La circulaire du 29 décembre 1956 est sans ambiguïté : "aucun devoir écrit, soit obligatoire, soit facultatif, ne sera demandé aux élèves hors de la classe", en primaire. À l'époque, déjà, "l'intérêt éducatif limité" des devoirs écrits à la maison était pointé du doigt.
L'esprit de ce texte est relayé sur de nombreux sites officiels : "il est interdit de donner à faire à des élèves un travail écrit à la maison", peut-on ainsi lire sur service-public.fr, qui rappelle que rien n'empêche, en revanche, un enseignant de donner un travail oral (lecture ou recherche par exemple) ou des leçons à apprendre à la maison.