Comment assurer la traçabilité des contrôles d'identité ?

Plusieurs moyens sont envisagés pour améliorer la traçabilité des contrôles de police (image d'illustration)
Plusieurs moyens sont envisagés pour améliorer la traçabilité des contrôles de police (image d'illustration) © AFP
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Dans le contexte de l'affaire Théo, le Défenseur des droits a rappelé son engagement en faveur d'une "attestation nominative" délivrée après chaque contrôle d'identité, pour lutter contre les discriminations.

 

Pour le Défenseur des droits, le cas de Théo, jeune homme noir victime d'un viol présumé lors d'une interpellation, après un contrôle d'identité, n'est "pas un fait divers". "C'est un fait de société, c'est-à-dire qu'il faut le traiter à la hauteur de l'enjeu pour notre pays, et pour l'instant, je le dis, ce n'est pas le cas", a souligné Jacques Toubon, lundi. Et de citer une "étude incontournable" récemment publiée par l'autorité sur le sujet. D'après ce document, sur 5.000 personnes interrogées en 2016, seuls 16% disent avoir été contrôlées par la police dans les cinq dernières années. La proportion peut sembler raisonnable, mais explose chez les jeunes perçus comme noirs ou arabes : 80% d'entre eux ont été contrôlés. Ces derniers affirment également être souvent tutoyés (dans 40% des cas, contre 16% de l'ensemble), insultés (21% contre 7%) et brutalisés (20% contre 8%).

Aucun recensement, aucune traçabilité. En France, les contrôles d'identité ont pour but de "prévenir les atteinte à l'ordre public". Ils peuvent avoir lieu "dans une rue ou une gare", et concerner "toute personne, quel que soit son comportement". Ils ne font l'objet d'aucun recensement, ni d'aucune traçabilité : impossible de mesurer leur nombre, ou d'établir les zones ou les périodes où ils sont les plus fréquents. On ne les découvre que "lorsqu'il n'y a des incidents, et même des tragédies", déplore Jacques Toubon. Pour inverser la tendance, "il faudrait que, quand il y a un contrôle, soit délivré par le policier ou le gendarme une attestation nominative", estime le Défenseur des droits.

L'idée n'est pas nouvelle. Elle est inspirée d'une mesure évoquée par François Hollande lors de la campagne présidentielle de 2012 : le récépissé de contrôle d'identité. Promettant de lutter contre le "délit de faciès" grâce à une "procédure respectueuse des citoyens", le candidat PS avait semblé ouvrir la voie à la mise en place de ce système de recensement des contrôles, vivement critiqué par les forces de l'ordre. Mais son ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, s'était rapidement prononcé contre, qualifiant le dispositif d'"inopérant". Le projet, porté par des députés PS et écologistes, a depuis été rejeté par l'Assemblée nationale lors des discussions sur le projet de réforme pénale, puis sur la loi "Égalité et citoyenneté".

À New York et Londres, le récépissé adopté. Pourtant, ailleurs, le dispositif a fait ses preuves. Interrogé par Europe1.fr, Jacques de Maillard, codirecteur du Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), cite l'exemple de la ville de New York, où les récépissés ont permis de quantifier le phénomène des contrôles d'identité et d'initier des politiques policières. "Quand la police a révélé que le nombre de contrôles avait été multiplié par sept entre 2002 et 2008, c'est devenu une question politique", explique le chercheur. "Le maire de la ville, Bill de Blasio, en a fait un enjeu majeur. Et à partir de 2013, le nombre de contrôles a radicalement baissé."

Le récépissé a également été mis en place en Angleterre. "Au départ, l'orientation du dispositif n'était pas forcément de diminuer les contrôles visant les minorités", note Jacques de Maillard. Mais sa mise en place s'est accompagnée de mesures spécifiques sur le sujet. "Un code de pratiques professionnelles sur ce qu'est un bon contrôle a été mis en place et la formation sur le cadre légal dans lequel le contrôle doit s'enclencher a été améliorée, tout comme la sensibilisation aux effets des contrôles", souligne l'expert.  

La mesure est-elle seulement transposable à la France ? "Le récépissé, tout simplement par le mot employé, a un effet qui provoque le rejet par de nombreux policiers", diagnostique Jacques Toubon. Le Défenseur prône un dispositif proche, mais "plus subtile", avec une attestation dédiée à chaque personne contrôlée, et un double anonyme pour le policier, sous la forme d'une "souche". De tels documents apporteraient "une comptabilité" mais aussi "des indications sur les lieux où ça se passe, sur les motifs", estime-t-il. "Ça permettrait d'avoir moins de contrôles en général, et moins de contrôles subjectifs."

Un inquiétant "fichier des personnes contrôlées". Du côté du gouvernement, le système, même adouci, ne convainc pas. "Celui qui a le récépissé, il le garde ou il ne le garde pas, il le perd ou il l'a, franchement il faut regarder tout cela avec beaucoup de franchise", a tenté de justifier Stéphane Le Foll, mardi. Quelques jours plus tôt, le ministre de l'Intérieur Bruno Le Roux, évoquait de son côté un inquiétant "fichier des personnes contrôlées", établi à partir des récépissés et qui menacerait la confidentialité.

Pour répondre au besoin de recensement des contrôles, l'exécutif mise plutôt sur les caméras-piétons, fixées sur le torse des policiers pour filmer les interventions, et "bien plus performantes" qu'une quelconque attestation, selon Bruno Le Roux. Ces caméras, au départ prévues pour être actionnées par les policiers "lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident", doivent en fait "systématiquement" enregistrer les contrôles, selon la version finale de la loi Égalité et citoyenneté, adoptée fin décembre. Un décret dans ce sens doit être publié avant le 1er mars, a annoncé le ministre de l'Intérieur sur Europe 1. Mais pour Jacques de Maillard, on compare l'incomparable. "2.500 caméras, ce n'est pas la même chose qu'un récépissé systématique, on parle d'alternatives tout à fait différentes", note-t-il.

"Et dans les pays où le récépissé existe, la question du fichage ne s'est pas posée, par une fois. L'argument me paraît bien insuffisant", poursuit le chercheur. Outre-manche et à New York, un sujet a en revanche beaucoup fait débat, jusque devant les tribunaux : "celui de l'accès aux données, pour les personnes contrôlées elles-mêmes". Concernant les caméras piétons, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a tiré la sonnette d'alarme sur ce point : le dispositif prévoit un droit de consultation "indirect", des images filmées, après saisine d'un magistrat. "Au vu de la durée de conservation des données [...] et du fait que les traitements ne sont pas centralisés, l'effectivité réelle du droit d'accès ne pourra être garantie pour les personnes concernées", estime l'organisme.