Comment la France va-t-elle gérer la sortie des prisonniers accusés de terrorisme islamiste ? Véronique Brocard, journaliste spécialiste des affaires judiciaires, publie ce mercredi Les Sortants aux Arènes, une enquête inédite et exclusive sur la prise en charge de 250 détenus radicalisés, dont les peines étaient de dix ans ou inférieures à dix ans, qui vont sortir d’ici 2022. Elle était mercredi l'invité de Patrick Cohen, dans Europe midi.
"Une population hétérogène"
"Ils ont pu parler non pas des faits qui leurs sont reprochés, mais de la prise en charge : qui s’occupait d’eux, comment ils vivaient cela ? Certains m’ont dit 'ça ne sert à rien, on nous prend pour des enfants, on nous fait faire des activités débiles', et d’autres m’ont dit 'c’est intéressant, j’ai pu réfléchir à ce que j’ai fait'", a témoigné la journaliste au micro d'Europe 1, citant notamment une jeune fille pour qui la prison semble avoir été bénéfique. "Elle m’a dit : 'heureusement que je suis passée par la case prison, parce que ça m’a re-socialisée'".
D'autres, en revanche, sont "enfermés dans leurs convictions mortifères, ne parlent pas", a aussi pu constater Véronique Brocard, faisant référence à "une catégorie de gens imperméables, impénétrables, qui refusent même de voir un surveillant, qui sont enfermés dans leur monde et qui prient toute la journée." "Il y en a un, que je n'ai pas rencontré parce qu'il est extrêmement dangereux, qui dort par terre alors qu’il a un lit, qui a mis une serviette sur la télévision, qui est à l'isolement et qui est très jeune !"
Ces 250 détenus, qui devraient sortir d'ici 2022, ne sont pas des condamnés pour des crimes de sang : ils ont été jugés pour des départs en Syrie, pour de l'apologie, du financement du terrorisme, détaille Véronique Brocard. Il s'agit donc d'une "population hétérogène" composée aussi de "détenus qui se font aider, travaillent, sont ouverts, et qui sont en détention normale. Donc il y a toute une palette de détenus et ceux qui sortent sont ceux-là".
Un suivi avant et après la sortie
Parmi ceux qui sortent, l'administration pénitentiaire avoue parfois à la journaliste l'impossibilité de la certitude. Cette dernière cite notamment dans son ouvrage la directrice d'un service pénitentiaire, qui avoue à la fin d'une réunion à propos d'un détenu : "Dès le début, je n'ai pas su qui il était, et jusqu'à la fin je ne le saurai pas".
"Personne ne peut lire dans les âmes", rappelle Véronique Brocard, "mais il y a des outils". Selon elle l’administration pénitentiaire a mis en place une procédure depuis deux ans et demi qui consiste à "les scruter en permanence, à évaluer leur niveau de dangerosité, essayer de mieux les connaître". Pour cela, ils ont renforcé leurs équipes en y intégrant "des psys, des éducateurs, des conseillers d'insertion et de probation dont le métier est la récidive, des gens sont chargés d’organiser la sortie, des spécialistes du fait religieux...et évidemment le renseignement pénitentiaire, qui les surveille et les examine", liste la journaliste.
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Après la sortie de ces détenus, les choses peuvent encore changer. Le Conseil constitutionnel a censuré début août une loi qui imposait des mesures de sûreté aux détenus terroristes sortants. Pour autant des mesures existent quand même, affirme Véronique Brocard. "Tout s'est focalisé sur le bracelet électronique que le Conseil constitutionnel a considéré anticonstitutionnel. Mais il y a des mesures; ils ne sortent pas comme ça : ils sont inscrits sur un fichier spécifique qui les oblige à signaler tout ce qu'ils font, comme un déménagement, à la gendarmerie. Il peut y avoir aussi des assignations à résidence qui les bloquent dans leur ville et leur interdit de sortir, et pour les plus dangereux, le renseignement, la DGSI, les suit", conclut-elle.
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