"Depuis vingt ans, l'inflation carcérale semble être en France une fatalité" : dans son rapport annuel dévoilé mercredi, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) dresse un "constat d’échec" de la lutte contre la surpopulation en prison et "s’alarme de constater que l’enfermement devient la réponse à tous les maux de la société". Adeline Hazan dénonce notamment le fait que les "atteintes à l’ensemble des droits fondamentaux qui contribuent à la dignité de la personne n’ont pas régressé", citant le droit à la santé, à l’intimité, au maintien des liens familiaux… Elle déplore également une dégradation des conditions de vie au quotidien dans les établissements pénitentiaires, qui s'ajoute à un durcissement de la sécurité et au manque de personnels.
Un taux d’occupation record
"L’un des obstacles majeurs à l’effectivité des droits fondamentaux des personnes détenues est la surpopulation carcérale", écrit le rapport annuel de la CGLPL. Au 1er décembre 2018, un "niveau inégalé" de 71.000 détenus a été recensé sur l’ensemble de 188 établissements pénitentiaires français, alors que le pays compte 60.000 places de prison. "La densité moyenne des maisons d’arrêt au 1er novembre 2018 était de 141%, et l’on comptait 1.472 matelas au sol", précise encore le rapport. Des taux d’occupation jusqu'à 180% ont été observés par endroits.
Des fouilles "intrusives"
Cette surpopulation a pour principale conséquence la "forte dégradation des conditions de vie en détention", poursuit le rapport, en citant un contexte de "durcissement général des règles de sécurité" et notamment "la banalisation de la pratique des fouilles intégrales". "Dans de nombreux établissements, des fouilles systématiques sont toujours réalisées lors d’événements motivés de manière vague et non tracées. Le principe du respect de la dignité des personnes détenues n’est en outre pas toujours respecté, soit en raison de méthodes de fouilles inutilement intrusives ou humiliantes, soit en raison de l’inadaptation des locaux de fouille", note la CGLPL, qui a visité en 2018 22 établissements, et 1.541 depuis sa création en 2007.
Des atteintes à la dignité des détenus
Si le rapport salue "quelques mesures" qui ont permis d’améliorer le quotidien des détenus, comme la généralisation des téléphones muraux en cellules, il pointe du doigt une "forte dégradation des conditions de vie" dans les établissements pénitentiaires, exception faite des bâtiments les plus récents. Hygiène déplorable (moisissures, infiltrations d’eau, saleté…), prolifération de nuisibles (rats, punaises de lit…), maintenance des bâtiments non assurée, carence en équipements (lavabos cassés, toilettes bouchées, absence de réfrigérateurs…) sont autant de facteurs qui portent atteinte à la dignité des détenus, relève la CGLPL.
Le manque de personnels pénitentiaires
L’état des prisons françaises met à la fois en danger les personnes détenues mais aussi les personnels pénitentiaires, souligne le rapport. "Partout, le personnel et les moyens manquent", est-il écrit, en rappelant que les prisons françaises ont connu en 2018 le plus grand conflit social depuis un quart de siècle. Un mouvement d’ampleur des surveillants a en effet touché 115 des 188 prisons début 2018, à la suite d’une agression de surveillants, et conduit à quinze jours de blocages. Un an après ce mouvement, les "causes structurelles qui ont conduit au mécontentement demeurent", a observé Adeline Hazan en conférence de presse mercredi.
Pour elle, seule la mise en œuvre d'une "politique publique de désinflation carcérale efficace, qui mette un terme aux échecs des politiques antérieures, bridées par la crainte de l'opinion publique", permettra d'éradiquer le fléau de la surpopulation. La CGLPL dénonce à ce titre la construction prévue de 15.000 places de prison par l’État qui, "destinées à produire ses effets en quinze ans, ne peut résoudre les difficultés actuelles", et s’inquiète également de la loi de réforme de la justice, qui "ne va pas faire baisser la population carcérale" car un certain nombre de peines ne seront plus aménageables.
Les établissements de santé mentale pointés du doigt. Dans tous les autres lieux de privation de liberté - établissements de santé mentale, centres de rétention administrative, centres éducatifs fermés pour mineurs et locaux de garde à vue - où le CGLPL "assure une mission de prévention (des) traitements cruels inhumains ou dégradants", le tableau dressé est tout aussi sombre. Concernant la psychiatrie notamment, "parent pauvre" de la santé, la contrôleure générale déplore dans son rapport l’insuffisance des moyens alloués, le recours inadapté aux mesures d’isolement ou encore les restrictions de libertés liées au placement en soins sans consentement.