Covid : pourquoi le sud de la France se méfie davantage des vaccins

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, avec Lionel Gougelot
Le politologue Jérôme Fourquet analyse pour Europe 1 les ressorts d'un moins fort taux de vaccination contre le Covid-19 dans le quart sud-est de la France. Oppositions historiques avec le nord, poids de l'agriculture biologique, désaccords politiques avec l'exécutif… Les raisons de cette méfiance sont aussi nombreuses que les solutions difficiles à trouver, estime le spécialiste. 
ANALYSE

La France de la vaccination contre le Covid-19 est-elle à deux vitesses ? Le pays semble en tout cas divisé sur cette question : comme l'ont montré les travaux du géographe de la santé Emmanuel Vigneron, d'abord repris en juillet par Le Monde, les habitants du quart sud-est de la France sont aujourd'hui bien moins vaccinés, en proportion, que ceux du reste de la France. Le politologue Jérôme Fourquet est ensuite venu aborder les raisons de ces différences dans une note de la Fondation Jean-Jaurès (avec le géographe Sylvain Manternach), parue dans Le Figaro. Sur Europe 1, jeudi, l'auteur de L'Archipel français (éd. du Seuil) plonge dans ces fractures vaccinales, résultats de nombreux facteurs historiques et culturels, notamment.

La défiance au vaccin contre le Covid est la plus forte dans un grand quart sud-est. Pourquoi ?

La carte dressée par Emmanuel Vigneron fait ressortir, toutes choses égales par ailleurs en termes d'âge, une sous-vaccination dans une diagonale qui courrait de l'Ariège à la Drôme. Cette défiance vaccinale renvoie à la fois à des facteurs historiques, mais aussi sociologiques et politiques. Historiques, car on retrouve là réactivée une vieille culture d'opposition entre le nord et le sud du pays, entre Paris et le Sud, un Sud de l'insoumission, de la révolte. Cela remonte aux guerres de religion, aux camisards ou à la mobilisation des vignerons du Languedoc en 1907. Tout cet imaginaire ressort épisodiquement. On voit d'ailleurs comment quelqu'un comme le professeur Didier Raoult, marseillais dans l'âme, a beaucoup joué au moment du débat sur la chloroquine, de cette opposition entre Paris et Marseille. Cette raison historique a une trace vivace dans une partie de ces territoires, avec une résistance à des consignes, ici vaccinales, qui viendraient de Paris.

Y a-t-il une opposition unique au sein de ces territoires du sud-est de la France ?

Quand on zoome un peu sur ces régions, il faut distinguer l'arrière pays du littoral. On a des pays de montagnes et de collines et on a la plaine littorale. Ce sont des sociologies, des paysages, des cultures politiques et des modes de vie qui sont très différents. Or, dans ces deux sous-ensembles du sud, nous avons deux familles politiques et deux groupes sociaux qui sont très présents. Quelque part, bien qu'étant très différents, voire antagonistes, ils convergent dans une moindre acceptation vaccinale. 

C'est-à-dire ?

Dans l'arrière-pays, tous ces pays de montagnes et de collines, nous avons une très forte pratique, par exemple, de l'agriculture biologique. Ce sont des territoires qui ont été marqués par les arrivées successives, depuis les années 1960, de ce qu'on a appelé les néo-ruraux, qui ont voulu construire des contre-modèles de société avec des circuits courts, une économie et une sociabilité basées sur l'échange et le troc, une défiance vis-à-vis de l'Etat, vis-à-vis des grandes entreprises et du système marchand. Avec, là aussi, une opposition en matière agricole, par exemple à la chimie, aux engrais.

" Nous sommes dans des cultures assez réfractaires "

Comment ces facteurs sociologiques entraînent-ils une méfiance vaccinale ?

On est dans une culture à la fois de l'opposition et de l'écologie radicale qui peut éloigner de la vaccination. Il faut se rappeler que lorsque la France, à la stupéfaction générale, a vu apparaître il y a une dizaines d'années la rougeole, qu'on croyait éradiquée dans notre pays, des études épidémiologiques ont montré que certaines vallées ariégeoises et ardéchoises avaient été des clusters, parce qu'il y avait un taux de vaccination chez les enfants, dans certaines vallées, qui était nettement inférieur insuffisant. 

Il y aurait donc des populations adeptes du bio et des médecines douces pour qui le vaccin est un produit dangereux et artificiel ?

Oui. Et à côté du produit en lui-même, il a la démarche, c'est-à-dire qu'il y a quelque chose qui est imposé d'en haut. Nous sommes dans des cultures assez réfractaires, avec une insoumission de gauche. Quand Jean-Luc Mélenchon est en meeting là-bas, il fait souvent référence aux camisards, à la Résistance, aux maquis. C'est l'un des facteurs qui peut expliquer que la défiance vaccinale soit plus marquée dans cet arrière-pays méditerranéen.

Plus sur le littoral, on change complètement de décor et d'ambiance. On est dans des zones très urbanisées où une autre famille politique diamétralement opposée sur l'échiquier politique, celle de la droite radicale, se construit dans un rapport conflictuel avec l'Etat central. Elle cultive aussi une très forte défiance vis-à-vis de la parole officielle et vis-à-vis de ces consignes qui peuvent venir d'en haut, avec un discours poujadiste anti-fiscal assez répandu.

Avec un fort vote Rassemblement national sur cet arc méditerranéen ?

Voilà. Cela a aussi trouvé des manifestations lors de la crise des "gilets jaunes" avec de très nombreuses exactions contre les péages autoroutiers dans toute une partie de cette plaine méditerranéenne, de Perpignan jusqu'à Orange. Une partie de cette population était très radicalisée. 

" Les régions du sud de la France sont celles qui sont les mieux loties en termes d'infrastructures médicales "

Cela coïncide aujourd'hui avec un refus de la vaccination ?

Avec une moindre acceptation, plutôt. Attention, il ne faut pas dire que ces régions sont non-vaccinées. Les taux de vaccination sont quand même élevés dans ces régions du sud, mais significativement moins élevés que la moyenne nationale et que certaines régions du nord du pays. Ça renvoie à cette existence de culture politique et de mémoire historique très particulière. 

Ce taux de vaccination moindre illustre-t-il forcément un refus des habitants ou le problème n'est-il pas l'accès à la vaccination dans ces territoires ?

Je serais très réservé là-dessus. Effectivement, on peut avoir des problèmes d'accès dans les territoires montagneux et autres, mais on a d'autres massifs montagneux, comme les Vosges ou le Massif central, où on n'observe pas une sous-vaccination. Ensuite, quand on connaît un peu la géographie médicale, on sait que les régions du sud de la France sont celles qui sont les mieux loties en termes d'infrastructures médicales et de présence de médecins généralistes ou spécialistes. Les déserts médicaux sont plutôt dans le nord et dans le centre du pays que sur le littoral méditerranéen où encore une fois, soleil oblige, beaucoup de médecins et de professionnels de santé décident d'aller faire leur carrière. Cette moindre vaccination du sud doit être d'abord analysée sous un prisme historique et politique plus que sur un prisme d'équipement médical, voire sociologique. On a des régions dans ce sud qui sont modestes et d'autres plus aisées. Pour autant, dans chacune d'entre elles, on a une à une sous-vaccination.

Est-ce qu'on pourra réduire cette fracture vaccinale ? Ou les oppositions sont-elles tellement ancrées dans les mentalités qu'il y aura toujours une proportion de la population qui sera très éloignée du vaccin ?

Nous sommes face à un public réfractaire qui est sans doute, pour partie, assez difficile à convaincre. L'objectif pour le gouvernement et les acteurs de santé, c'est de faire en sorte que cette part réfractaire soit la plus réduite possible et si des clivages ou des différences existent, on espère des différences de degré et pas de nature, c'est-à-dire qu'il y aura des endroits qui sont un peu moins vacciné que d'autres. Mais les différences risquent de perdurer. Encore une fois, elles sont articulées sur des mémoires historiques, des positionnements politiques et idéologiques qui sont bien ancrés dans certaines populations. Ces dernières ne sont pas majoritaires dans ces territoires, mais elles sont plus nombreuses qu'ailleurs.