Cybèle, comédienne de profession, a été harcelée sexuellement par un metteur en scène avant d'être renvoyée pour s'être opposée à lui. Elle a ensuite porté plainte. Après une enquête puis un procès, son harceleur a été condamné. "Le parcours n'est pas agréable mais il faut penser à l'issue", explique-t-elle au micro d'Olivier Delacroix sur Europe 1.
"Ça a commencé par des réflexions déplacées. Je lui ai fait remarquer que ça ne se faisait pas, que ça me mettait très mal à l'aise et que je n'avais pas l'habitude de travailler dans ces conditions. Il a continué et j'ai à nouveau dit que ce n'était pas possible. Il était le metteur en scène de la pièce, il était aussi le producteur du spectacle et il jouait de temps en temps le rôle masculin donc j'ai fait quelques dates avec lui. J'arrivais plus tôt pour me changer pour ne pas qu'il me regarde et il me le reprochait. Quand il faisait des blagues sexistes, je lui faisais remarquer que c'était désobligeant. Je ne lui ai jamais laissé croire que je rentrais dans son jeu et que ça me faisait rire. Je lui ai toujours montré un visage froid et fermé.
A un moment, il s'est autorisé une main aux fesses. Là, j'ai hurlé. J'ai dit que c'était la dernière fois et que ce n'était absolument pas envisageable et le lendemain j'ai été renvoyée. Je me rendais compte que ces faits étaient graves mais je ne pouvais pas imaginer que ça pouvait aller plus loin. Et je me suis dit : 'Il n'entend pas. Il n'entend pas le non.' C'est un homme qui n'entend pas le 'non', qui n'a aucun respect pour ses collaboratrices. J'ai dit que c'était la dernière fois que je jouais avec lui, que j'attendais des excuses et en fait le lendemain, je n'ai pas eu d'excuses, j'ai eu un renvoi.
>> De 15h à 16h, partagez vos expériences de vie avec Olivier Delacroix sur Europe 1. Retrouvez le replay de l'émission ici
"J'avais peur de tomber sur quelqu'un qui ne prendrait pas ma plainte au sérieux"
J'ai porté plainte, il y a eu un procès qui a duré trois ans et que j'ai gagné. J'avais peur de tomber sur quelqu'un qui ne prendrait pas ma plainte au sérieux. Je suis arrivée au commissariat qui était le plus proche du théâtre, le commissariat du 2ème arrondissement de Paris, à côté du métro Bourse. Je suis tombée sur un policier qui a vraiment pris ma plainte au sérieux, je me suis sentie vraiment entendue. Il m'a dit : 'Madame, c'est extrêmement grave et vous avez vraiment bien fait de venir nous voir.' L'enquête a commencé, ils m'ont demandé quel était le nom de toutes les personnes qui travaillaient dans ce théâtre et qui pouvaient avoir été témoins de ces agissements, qui avaient pu aussi en être victimes.
La honte change de camp. Au lieu de rester victime, je pose des actes qui font que je reprends le pouvoir sur ma vie. Je dis que ce sont des choses qui ne se font pas et que je n'accepte pas d'être traitée de cette façon-là. Quand je vois que c'est entendu par un policier qui est prêt à me protéger dans ma position de victime, d'un seul coup, les choses changent. Là, la peur change de camp puisque mon metteur en scène commençait à s'angoisser. Et il a eu raison parce qu'il s'est retrouvé en garde à vue. Il y a eu une enquête contre lui et comme il était effectivement coupable, il s'est retrouvé condamné.
"Le parcours n'est pas agréable, mais il faut penser à l'issue"
[Au moment du procès], je ne sais [s'il a pris conscience de la gravité de ses actes] mais ce n'est pas l'impression qu'il donnait. J'ai contacté toutes les comédiennes qui ont travaillé pour lui, en tout cas, toutes celles que j'ai pu trouver à travers mes enquêtes sur Internet. J'ai fait toute une enquête pour essayer d'entrer en contact avec toutes les femmes qui avaient pu être victimes comme moi, de cet homme-là. Elles ont toutes été victimes mais il n'y en qu'une qui a eu 'le cran' de rejoindre ma plainte. On a porté plainte à deux, on a eu une avocate formidable qui nous a défendues jusqu'au bout.
Il y a eu d'abord une confrontation à la police. C'était assez brutal parce qu'il se défendait en disant que l'on était de mauvaises comédiennes, qu'il nous avait renvoyées parce qu'on mettait le spectacle en danger, qu'avec nous, il n'y avait pas assez de rires. Evidemment, ce n'était pas vrai mais comme il n'avait rien à dire pour sa défense, il fallait qu'il trouve un prétexte parce qu'on ne vire pas quelqu'un comme ça. Ça rajoute de l'humiliation à l'humiliation. Le parcours n'est pas agréable mais il faut penser à l'issue."
L'avis de Marie Pezé, docteur en psychologie et ancienne experte judiciaire responsable du réseau de Consultations Souffrance et Travail :
"Je pense qu'il est très important de dire aux gens que la plupart des chefs d'entreprise n'ont pas encore conscience des lois qui pèsent sur leurs épaules et que toutes ces affaires sexuelles les gênent énormément, quand ils ne sont pas eux-mêmes en position de harceleur sexuel. Un conseil à donner, c'est d'aller d'abord parler au médecin du travail ou au médecin de prévention dans la fonction publique. A partir du moment où les faits sont décrits dans le dossier médical, ça acte la chronologie des événements. Le médecin est soumis au secret médical, il ne fera rien sans vous demander votre avis. Il faut aussi aller en parler à l'inspecteur du travail. Il faut faire sortir les événements de l'intérieur de l'entreprise qui, les trois-quarts du temps, ne sait absolument pas quoi faire avec ce type de comportement.
Les témoins peuvent en faire autant. Ils peuvent alerter le médecin du travail. Il y a dans le Code du travail un très bel article, le 41.22. Chaque salarié est responsable de sa santé au travail et de celle de ses collègues, dans ses actes comme dans ses omissions. Il ne faut pas omettre de conseiller les gens qui sont en difficulté mais aussi, d'aller dire à un médecin du travail : 'J'ai constaté ça.' Le médecin du travail peut tout à fait venir faire un tour dans l'entreprise ou bien convoquer de manière aléatoire les jeunes femmes qui sont aux prises avec ces situations. C'est en tout cas une très bonne première étape."