Dans sa lutte pour le respect du code de la route, l'Etat va mettre les entreprises à contribution. Le projet de loi sur la modernisation de la justice du 21e siècle termine son parcours parlementaire mercredi après-midi. Le texte, qui devrait être adopté, comporte notamment onze mesures pour la Sécurité routière. Et l'une d'elles, qui doit entrer en vigueur en janvier, fait particulièrement polémique. Elle prévoit d'obliger les entreprises à communiquer l'identité d'un salarié qui commet une infraction avec un véhicule de service.
Aujourd'hui, en effet, de nombreuses sociétés s'arrangent avec leurs employés qui enfreignent le Code de la route : ces derniers versent à l'entreprise de quoi payer l'amende, mais ils ne perdent pas de points sur leur permis puisque c'est l'entreprise qui est verbalisée. La nouvelle loi prévoit une réforme claire : désormais, ce sera directement aux salariés de payer… et ils devront bel et bien dire au revoir à leurs points de permis. Qu'en pensent les patrons ? Certains y voient de positif, d'autres demandent la suppression de la mesure.
Les "pour" : "il faut débanaliser les accidents"
Un rapport de l'Inspection générale de l'administration publié en 2014 a fait le calcul : deux millions de points de permis devraient chaque année être retirés mais ne le sont pas. Et les véhicules d'entreprises sont principalement en cause. "Il faut empêcher que les salariés s'estiment en possibilité d'échapper au retrait de point", a martelé mardi Bernard Cazeneuve, le ministre de l'Intérieur. Emmanuel Barbe, le délégué interministériel à la sécurité routière, dénonce même un "abus de bien social" à propos des entreprises qui s'arrangent avec leurs salariés. Et beaucoup de chefs d'entreprise s'alignent sur cette position.
"Il faut bousculer certaines habitudes. Les salariés ont certes une charge de travail importante, des rendez-vous. Ils sont pris dans les embouteillages, stressent pour arriver à l'heure et peuvent avoir un accident. Mais il faut débanaliser les accidents. Je n'ai pas envie qu'on m'annonce un jour que quelqu'un est mort sur la route avec un véhicule de la société", explique à Europe 1 Martine Verdeau, directrice assurances groupe et prévention des risques à Elior, l'un des leaders de la restauration.
Chez Elior comme chez La Poste, Total, Axa, Michelin, Johnson&Johnson, Colas, Transport Lacassagne ou encore SGS France, on s'est déjà engagé à respecter le retrait de points de permis si un salarié fait une infraction. Certaines entreprises (SGS France par exemple) financent même en échange une partie des stages de récupération de points. Quelques PME ont aussi franchi le pas sans attendre la loi. "J'ai expliqué à mes salariés qu'eux seuls étaient derrière le volant. Au départ, cela a été un peu dur à accepter car c'était pris pour de la délation. Mais dix ans après, je constate que cela les a responsabilisés", témoigne ainsi Michel Calot, PDG d'une PME de transport, interrogé par Le Parisien.
Le contre : "le chef d'entreprise n'est pas un policier"
La majorité des petites et moyennes entreprises, toutefois, semblent opposées à la mesure. La CGPME, le principal syndicat des patrons de PME, a d'ailleurs demandé le retrait de la mesure. "On demande au chef d'entreprise de faire un acte de police. Or, le chef d'entreprise n'est pas un policier ! C'est un transfert de charge du policier à l'entreprise que nous ne pouvons pas accepter", martèle ainsi François Asselin, entrepreneur dans le bâtiment et président de la CGPME, contacté par Europe 1.
"Dans beaucoup de petites entreprises, les véhicules de services contiennent deux, voire trois salariés, envoyés pour de l'entretien de matériel, des réparations, des dépannages. Si le véhicule se fait flasher, qui se dénoncera ? Cela obligera le dirigeant à faire un acte d'autorité, et je vous laisse imaginer l'ambiance dans l'entreprise. C'est une pression supplémentaire pour les patrons de PME", déplore le dirigeant. "Dans une grande entreprise, les véhicules de service sont souvent individuels. La traçabilité est plus simple. Dans une petite entreprise, cela ne va faire que complexifier le dialogue avec les salariés", renchérit François Asselin. "Je ne parle même pas du fait qu'un salarié a besoin de ses points pour travailler, et une entreprise a besoin de son salarié !", poursuit-il. Et de conclure : "la majorité des infractions sont mineures : 56 km/h au lieu de 50, 92 au lieu de 90. On n'encourage pas à l'incivilité. On veut simplement éviter des casse-têtes supplémentaires".
La CGPME recommande, en lieu et place de la loi, de poursuivre les efforts faits en matière de prévention : formation des salariés, partenariats avec des associations, sensibilisation aux produits addictifs etc. Reste que pour le moment, les petites entreprises semblent avoir du mal à jouer le jeu. Selon un sondage Ifop auprès d'entreprises de moins de 50 salariés mené en mai dernier, 83% des dirigeants reconnaissent ne mener aucune action pour améliorer le respect du code la route des salariés. A peine 8% financeraient des journées de formation. En revanche, 56% avouent payer les amendes à la place des salariés.