Des «collègues s'autocensurent» : depuis l'assassinat de Samuel Paty, les questions de laïcité abordées avec davantage de précautions

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Louise Sallé / Crédits photo : Xose Bouzas / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Depuis l’assassinat de Samuel Paty, les enseignants d'histoire-géo ne pratiquent plus leur métier de la même façon. En cours d’éducation morale et civique, les questions de laïcité sont abordées avec davantage de précautions. C’est ce qu’a expliqué vendredi la présidente de l’association des professeurs d’histoire-géographie (APHG), Joëlle Alazard, entendue en tant que témoin lors du procès des adultes impliqués dans l’assassinat de cet enseignant le 16 octobre 2020.

Sa voix tremble, parfois, mais son regard, assuré, lui, ne faiblit pas. Joëlle Alazard, la cinquantaine, présidente de l’association des professeurs d’histoire-géographie (APHG) commence sa déclaration à la barre, enveloppée dans un châle. D’un ton calme, cette enseignante d’histoire-géo en classes préparatoires à Paris rappelle que, depuis l’assassinat de Samuel Paty , "sidérant pour toute la profession", beaucoup d’enseignants d’histoire vivent dans "une vigilance permanente". 

"De plus en plus de parents s'immiscent dans nos enseignements"

"On est un peu plus méfiant qu’avant, car à tout moment, nos mots peuvent être déformés et jetés en pâture sur les réseaux sociaux", regrette-t-elle. Joëlle Alazard s’en explique hors audience au micro d’Europe 1. "On a des parents qui s'immiscent dans nos enseignements, pour des raisons religieuses ou des raisons politiques", explique-t-elle.  

"Or, il faut absolument préserver nos contenus, rappeler sans arrêt que les programmes ne sont pas négociables… Je ne vois pas comment on peut faire cours sur la Renaissance sans utiliser des tableaux ou des sculptures où il y a de la nudité", ajoute-t-elle. "Nous sommes les spécialistes de notre discipline et, de plus en plus, on nous demande de rendre des comptes." 

"Les caricatures sont des outils extraordinaires"

Après sa déclaration à la cour, les juges et en particulier les avocats de la défense l'interrogent sur la pertinence pour un enseignant de montrer les caricatures de Charlie Hebdo en classe notamment celle où Mahomet apparaît nu. "Ce sont des outils extraordinaires pour étudier la liberté d’expression ", répond Joëlle Alazard. "En les montrant, Samuel Paty suivait scrupuleusement les programmes", poursuit-elle avant d’affirmer qu'"on a le droit de ne pas être Charlie, tant qu’il n’y a pas de menaces sur les dessinateurs." 

Des jeunes collègues qui "s’autocensurent"

À propos de ces dessins, l’enseignante le reconnaît : "Depuis quelques années, on a des échanges tendus avec les élèves… Certains jeunes collègues s’autocensurent et c’est préoccupant. Mais ce que nous voulons, c’est d'être protégés par la République", conclut-elle, avant de lâcher de pas "faire ce métier pour être coupé en deux par un islamiste".