"Trop vieux", "trop grosse", "d'origine africaine", "musulman"... Les motifs de discriminations à l'embauche peuvent être multiples. Pour les contourner, le candidat Emmanuel Macron s'est dit notamment "favorable à multiplier le testing" et "le 'name and shame'" lors de sa visite aux Mureaux mardi. Cette méthode consiste à "nommer" les entreprises ou personnes qui ont des pratiques répréhensibles pour les "couvrir de honte". Mais est-elle vraiment efficace ?
- Oui, à condition de faire une bonne évaluation
Pour dénoncer publiquement des pratiques de recrutement, encore faut-il pouvoir les étudier. Et dans ce domaine, la France accuse un certain retard. "Quand la Halde |Haute Autorité contre les Discriminations et l'Égalité dissoute en 2011 au profit du Défenseur des droits] a été créée en 2005, son équivalent britannique [Commission for Racial Equality] existait déjà depuis 1976", rappelle Jean-François Amadieu, professeur de sociologie à l'Université Panthéon-Sorbonne et auteur de La société du paraître (Odile Jacob), contacté par Europe1.fr.
Le premier "testing", ces tests qui consistent à envoyer de faux CV pour étudier les politiques de recrutement de certaines entreprises, n'ont été mis en place en France qu'en 2004 et réalisés par L'Observatoire des discriminations. Ils étaient alors menés sur des échantillons représentatifs et sur plusieurs variables de discrimination (patronyme, âge, sexe, handicap, apparence physique, adresse). À titre de comparaison, les Britanniques ont, eux, testé l'accès à l'emploi et aux services publics dès les années 60.
La politique française de testings commence toutefois à porter ses fruits. Les résultats de la dernière campagne de diligentée par le gouvernement en 2016 sont sans appel : un tiers des 43 entreprises testées répondent moins favorablement à un candidat portant un nom à consonance maghrébine. Un bilan éloquent mais qui n'étudie qu'un seul critère de discrimination, "alors que des entreprises peuvent être performantes dans un domaine mais très mauvaises dans un autre", nuance Jean-François Amadieu. Les résultats ne sont donc que partiels quant aux pratiques de recrutement d'une entreprise.
Par ailleurs, il existe une "hiérarchie des discriminations". "Le premier critère de discrimination n'est pas l'origine [que l'on sous-entend par le nom] mais bien l'âge", affirme le sociologue qui ajoute que certains critères sont mieux pris en compte que d'autres, car plus médiatisés ou soutenus par des associations. L'égalité hommes-femmes, par exemple, est étudiée de près et des dispositifs sont mis en place pour y parvenir. Mais quant à la discrimination sur l'apparence physique (le deuxième facteur discriminant), aucun testing n'a été lancé. "On a tendance à tolérer plus facilement certaines discriminations. Par exemple, les seniors doivent accepter un certain jeunisme."
- Oui, mais pas pour toutes les entreprises
Après avoir évalué la situation, encore faut-il passer à l'acte. En France, certaines associations s'y sont déjà employées, et plutôt avec succès. C'est ce qu'il s'est passé en 2013 avec la marque américaine Abercrombie & Fitch. La firme avait bâti sa réputation sur la présence de vendeurs torses nus dans ses magasins et face aux indignations des consommateurs, le Défenseur des droits s'était auto-saisi pour mettre à jour les pratiques de recrutement de la marque. Cette procédure avait abouti à l'abandon de certains critères de recrutement chez A&F, comme la beauté.
Car pour une grande entreprise, la réputation est un élément essentiel. Si elle ne risque pas forcément de poursuites judiciaires, elle ne veut pas être au centre des attentions pour une affaire de discrimination. "Ces grandes marques pensent qu'une bonne réputation est importante pour attirer des candidats", note le sociologue Jean-François Amadieu. "Bien que selon les études, cela n'ait pas d'incidence."
Mais dans le domaine public ou pour une petite entreprise, le "name and shame" n'a pas de prise. Nous irons toujours à la Caisse d'allocations familiales ou au bar-tabac du quartier, quelle que soit sa réputation en matière de recrutement. "Pour que cela fonctionne, il faut avoir une image de marque" à sauvegarder.
- Oui, mais ce n'est qu'un début
Pour lutter contre les discriminations, Jean-François Amadieu propose plutôt de changer nos pratiques de recrutement dès la rédaction d'un CV. "Aux États-Unis, les CV sont moins indiscrets et laissent moins de place aux discriminations. Alors qu'en France, on multiplie les informations qui servent à discriminer." Le spécialiste donne l'exemple de la photo d'identité, de l'âge ou encore de l'adresse du candidat qui figurent systématiquement sur le CV à la française et qui n'aurait aucune place sur un CV américain. "En France, on considère que plus on donne de renseignements (situation familiale, loisirs, engagements citoyens), mieux c'est pour le recruteur. Les Anglo-Saxons ont une démarche complètement à l'opposée".
Le CV anonyme a été âprement discuté en France. Bien qu'adopté en 2006, il n'a jamais reçu les décrets d'application nécessaires et la loi a été abrogée en août 2015. Deux mois plus tard, David Cameron entérinait le CV anonyme. "On devrait limiter le phénomène de discrimination quand on peut le faire", conclut Jean-François Amadieu.