Les époux sont d'accord : ils veulent divorcer. Les modalités sont arrêtées entre eux, ils veulent régler ça vite fait bien fait. Tourner la page de leur histoire. Passer à autre chose. Pourtant, leur divorce ne sera pas prononcé avant plusieurs mois, voire plus d'un an, les poussant parfois à se revoir plusieurs fois chez l'avocat. Les juges traitent environ 70.000 cas de divorce à l'amiable tous les ans. Mais la donne devrait, toutefois, bientôt changer. Le gouvernement a ajouté fin avril un amendement pour raccourcir les délais des divorces par consentement mutuel. Le texte figure désormais dans le projet de réforme dit "J21", pour "Justice adaptée au 21e siècle", débattu mercredi en commission à l'Assemblée. Le principe : le divorce à l'amiable ne se ferait que chez le notaire, sans passer par le juge. Bonne idée ?
Le plus : du temps gagné, des tribunaux désengorgés. Le manque de juges et l'empilement des dossiers expliquent la longueur des procédures de divorce. Évitant le tribunal, les époux qui veulent divorcer gagneraient donc un temps précieux et les juges verraient leur charge de travail allégée. Concrètement, si l'amendement est adopté, les époux devront se mettre d'accord sur les modalités de leur rupture, signer et faire signer leur accord par leur(s) avocat(s) et le faire enregistrer chez le notaire (pour la modique somme, fixe, de 50 euros), sans même forcément s'y rendre. "Lorsque les époux s’entendent sur la rupture du mariage et ses effets, ils peuvent, assistés chacun par un avocat, constater leur accord dans une convention prenant la forme d’un acte sous signature privée contresigné par leurs avocats", décrit l'amendement.
L'objectif d'une telle "simplification" est précisé noir sur blanc dans "l'exposé sommaire" en annexe de l'amendement : "les critiques récurrentes qui sont souvent adressées à l’encontre des procédures judiciaires, et qui portent sur la complexité de ces procédures, leur durée ainsi que leur coût, ont amené à s’interroger sur la nécessité d’un recours systématique au juge en matière de divorce lorsque les conjoints s’accordent sur les modalités de leur rupture".
Le moins : la perte de l'expertise et du recul du juge. Pour le gouvernement, les avocats apportent une expertise suffisante pour les époux, qui peuvent donc se passer du juge. Mais ce n'est pas l'avis de tout le monde. Certains craignent en effet des décisions prises dans la précipitation, sous l'émotion, que les époux seront susceptibles de regretter par la suite. D'autres redoutent également que l'un des membres du futur ex-couple tente de se venger, profitant de l'état de faiblesse de l'autre. Or, dans ces cas-là, le recul et l'expertise d'un juge peuvent compter.
"Le recours au juge a été institué pour éviter la vengeance privée, la loi du talion, et la domination du fort sur le faible", avance ainsi Aurélie Lebel, avocate spécialisée au barreau de Lille, citée par Le Monde. "Le juge veille au respect de l’intérêt des parties. […] Tel n’est pas la mission de l’avocat qui, lui, n’a qu’un devoir de conseil", poursuit-elle. "En matière de divorce, le juge a un rôle de garde-fou. […]Si son regard extérieur et impartial disparaît, les avocats risquent de ne plus déployer la même énergie à chercher le juste équilibre", poursuit Hugues Fulchiron, professeur de droit et spécialiste de la famille, interviewé par La Croix. Ce dernier reconnait, toutefois : "soyons honnêtes : compte tenu de l’engorgement de la justice, le passage devant le juge est malheureusement expédié en quelques minutes aujourd’hui…"
Pour les époux divorcés, les avis sont mitigés sur la réforme. Ecoutez les témoignages recueillis par Europe 1 :
Divorcer sans juge, mauvaise idée ?par Europe1fr
De (petits) garde-fous proposés. Ce n'est pas la première fois que le passage devant le juge est remis en question. Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault avait, lui aussi, commandé un rapport sur le sujet. Le document, remis en 2014, prévoyait de faire régler le divorce à l'amiable par le greffier. Mais le projet avait été très critiqué, y compris au PS, poussant l'exécutif à ne jamais donner suite.
Pour éviter de faire une nouvelle fois machine arrière, le gouvernement a ajouté des "garde-fous" dans son nouvel amendement. D'une part, les époux auront un délai de rétractation de deux semaines après la signature de l'accord. D'autre part, si les époux sont parents de mineurs, ils doivent informer l'enfant "de son droit à être entendu par le juge". Et si l'enfant veut passer par la case juge, cela ne pourra pas lui être refusé.
Des arguments qui ne convainquent pas les détracteurs du projet, pour qui le délai de rétractation reste trop court, et qui doutent de la capacité de l'enfant à imposer un juge à leur parent. Pour l'heure, difficile de prendre le pouls des députés sur le sujet. L'amendement sera débattu vers 17h, mercredi, en commission des lois.