Pour la philosophe et historienne de la pensée féministe Geneviève Fraisse, invitée sur Europe 1 dimanche, le mouvement #MeToo marque un tournant dans la lutte pour les droits des femmes. Après avoir conquis des droits individuels pendant les 19e et 20e siècle, celles-ci s'affirment comme un corps collectif.
Le féminisme ne date pas d'hier, mais il évolue sans cesse. Et les droits peu à peu acquis par les femmes aussi. En cela, le mouvement #MeToo, qui a pris énormément d'ampleur à partir de la fin 2017, marque un tournant. Voilà ce qu'a expliqué Geneviève Fraisse, philosophe et historienne de la pensée féministe, auteure de Féminisme et philosophie et de La suite de l’histoire, dimanche, sur Europe 1. Selon elle, les revendications des femmes ont changé et s'inscrivent désormais dans une logique collective.
"Le pluriel est important"
"La réappropriation du corps a eu lieu aussi au 19e et 20e siècle, mais plus sur une addition de droits individuels : celui au divorce, à la contraception, à l'avortement", explique la spécialiste à l'occasion de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes. "Chaque fois, c'est comme une addition des corps." Avec le mouvement #MeToo, cela a changé. "Ce qui se passe, c'est ce que j'appelle le corps collectif. Le pluriel est important, c'est un ensemble. Bien sûr, ça, c'est neuf."
Pour preuve, Geneviève Fraisse prend la façon dont les femmes témoignent des violences qu'elles subissent. "Elles vont faire un récit. Pas simplement une plainte mais [raconter] ce qui leur est arrivé. Elles vont reconstruire la scène qui a eu lieu." Cela peut sembler un détail, mais la philosophe trouve cela significatif. "Ce n'est pas seulement l'acte qui est pointé du doigt mais dans quel univers ça s'est passé, donc dans quel univers nous vivons."
De l'importance de l'usage du mot "féminicide"
Par ailleurs, "jusqu'à la fin du 20e siècle", les conquêtes féministes se sont inscrites dans un "cycle de droits civils, économiques et politiques". Au 21e siècle désormais, selon l'historienne, "c'est le corps qui sort", qui est au cœur des préoccupations féministes.
Pour Geneviève Fraisse, qui dénonce le sexisme est une "disqualification", une "différence de substance". "Cela signifie qu'on n'est pas du même monde." Selon elle, il est particulièrement prégnant dans le monde intellectuel, "plus violent" encore qu'en politique. L'historienne salue par ailleurs l'utilisation de plus en plus systématique du mot "féminicide" pour parler des meurtres de femmes par leur (ex-) conjoint. "Ce mot renvoie au système. On s'est beaucoup battu(e)s pour enlever l'aspect passionnel" de ces crimes, explique-t-elle. "Le mouvement #MeToo a permis de montrer le caractère structurel et historique des féminicides."