La journaliste du Monde, Ariane Chemin, qui a notamment révélé l’affaire Benalla en juillet dernier, a été convoquée par la DGSI à la suite de ses articles sur cet ancien collaborateur de l’Elysée. Notre éditorialiste Jean-Michel Aphatie s'interroge : doit-on y voir une pression sur les journalistes ?
"Cette convocation nous amène à nous interroger sur le déséquilibre de la démocratie en France et il faut prendre cette question très au sérieux. La DGSI, Direction générale de la sécurité intérieure, agit dans un cadre qui est apparemment légal et qui concerne un particulier, dont on ne connait pas le nom, membre des services secrets. La DGSI, à la demande du Parquet de Paris, convoque Ariane Chemin le 29 mai avec une volonté, celle de savoir qui lui a donné les noms des services secrets qui étaient en contact avec Alexandre Benalla.
‘Madame Chemin, journaliste, dévoilez-nous, la police, les sources qui sont les vôtres pour faire des papiers.' Cette démarche, même si elle s’inscrit dans une plainte, est assez gonflée. Surtout, elle est vaine car on n’imagine pas un journaliste dire à des policiers : 'Oui Monsieur, c’est X qui m’a donné le nom'.
>> De 7h à 9h, c’est deux heures d’info avec Nikos Aliagas sur Europe 1. Retrouvez le replay ici
La protection des sources, un enjeu démocratique
Le journaliste ne dévoilera pas ses sources. Non parce qu’il s’agit d’une fierté professionnelle, mais parce que si vous commencez à dire à la police que c’est un tel qui me renseigne, plus personne ne vous renseignera. Et si plus personne ne vous renseigne, vous n’informez plus les citoyens sur ce qui se passe, sur la manière par exemple dont agit l’Etat dans une multiplicité de dossiers. Est-ce que l’Etat respecte les règles qu’il impose à ses citoyens ? Est-ce que l’Etat respecte les Droits de l’homme ? Il y a des enjeux très importants.
En convoquant les journalistes à la demande du Parquet, qui n’est jamais tout à fait indépendant, la DGSI crée un climat d’intimidation : intimidation auprès des sources, intimidation auprès des journalistes. 'Attention, n’y revenez plus, laissez-nous travailler tranquille. Occupez-vous d’autre chose !' Voilà ce qui se passe dans la démocratie française aujourd’hui. Le Monde parle d’une "inquiétante convocation" pour sa journaliste, et ils ont raison.
>> LIRE AUSSI -Journalistes convoqués par la DGSI : "Des justiciables comme les autres", pour Sibeth Ndiaye
La liberté d'informer
Il y a dix jours, la DGSI a convoqué trois journalistes, un de Radio France et deux de Disclose puisqu’ils ont publié une note 'Secret d’Etat'. Il y a de nombreux enjeux dans cette histoire, sur les ventes d’armes de la France à l’Arabie Saoudite et sur l’utilisation de ces armes par l’Arabie Saoudite dans la guerre au Yémen. En gros, est-ce que l’armée française tue des civiles ? Ce n’est pas une mince question. Les policiers demandent quelles sont les sources et bien entendu, ils n’ont pas eu de réponse !
Dans tous les cas, quelqu’un dénonce, mais quelqu’un qui veut faire circuler une information qui est d’intérêt général. La police, la justice, qui que ce soit, ne peuvent pas essayer de tarir ces sources-là ! Sinon, il n’y a plus d’information qui circule. Sommes toujours dans une démocratie si l’information ne circule pas ? Bien sûr, on peut toujours donner le résultat des courses, du championnat de France de football et s’en tenir là… Emmanuel Macron dénonce souvent, avec raison, l’évolution de certaines démocraties en Europe, comme la Hongrie ou la Pologne. Disons les choses simplement : il ne faudrait pas qu’un jour, nous ressemblions à ces pays."