C’est un débat millénaire : faut-il, oui ou non, interdire la fessée ? L’Assemblée nationale se prononce jeudi sur une proposition de loi MoDem visant à interdire tout châtiment corporel de la part des parents. Une mesure demandée de longue date par de nombreux spécialistes. "La fessée est un échec, cela n'a aucun intérêt. Ce n'est jamais mérité. Quand on frappe son enfant comme ça, le risque c'est de faire des enfants masochistes, violents ou soumis", expliquait à Europe 1 le pédopsychiatre Stéphane Clerget, dans un article ici. Pourtant, entre 40 et 67% des Français reconnaissent avoir déjà eu recours à une fessée, même légère, selon différents sondages publiés ces dernières années.
Certains y voient un intérêt éducatif. "Il faut que l'enfant ait un message du parent qui ne soit pas qu'intellectuel, mais qui soit aussi un message qui passe par le corps", théorise ainsi le philosophe Emmanuel Jaffelin, interrogé par Europe 1. D’autres agissent parfois sous le coup de la colère, et ne se contrôlent pas toujours. "Sur un moment d'énervement, le stress, ce sont ces moments de pression qui font qu'à un moment donné, la fessée part", confie à Europe 1 une mère de famille pourtant opposée à cette pratique. D’où l’importance, si l’on veut éviter que "la fessée parte" sur un moment d’énervement, de réfléchir à d’autres réponses en amont. Nous vous en proposons quelques-unes.
Dialogue, puis punition
La plupart des spécialistes s’accordent à dire qu’un dialogue effectué calmement est plus utile pour faire passer des messages. Il s’agit d’expliquer à l’enfant les raisons de notre colère (il s’est mis en danger ou a mis en danger quelqu’un d’autre, il a cassé quelque chose qui était cher à nos yeux etc.). "Ce qui est important, c'est de donner le bon exemple à son enfant, de lui dire ce qui est mal. Il n'y a pas besoin de lui mettre des coups pour ça", assure Stéphane Clerget. "Pour comprendre son erreur, l’enfant n’a pas besoin d’être frappé. Un ‘Non’ très clairement prononcé par ses parents a un sens pour l’enfant. Un ton ferme, appuyé d’un froncement de sourcils suffit souvent", poursuit Stephan Valentin, psychologue pour enfants et adolescents dans Santé magazine.
L’intérêt du dialogue sert aussi les parents, pour les aider à comprendre les raisons du geste de l’enfant. "Il s'agit d’apprendre à l’enfant à verbaliser ses émotions, à mettre des mots sur ce qu'il se passe dans son corps (le cœur qui bat, la peau qui rougit...)", explique à Europe 1 Catherine Aimelet-Perissol, médecin et psychothérapeute, auteure de Émotions, quand c’est plus fort que lui !. "Par exemple, lorsque l'enfant exprime une phrase du type ‘je ne veux pas manger’ lors d’une crise de colère, le parent peut lui retourner la question, lui demander ‘ah bon, tu n’as pas faim’ ? Cela permet de restituer à l'enfant la responsabilité de sa phrase, cela le pousse à raisonner sur ce qu’il dit. Cela invite l'enfant à la précision, à mettre des mots sur ses raisons", poursuit la médecin.
Si le dialogue n’aboutit pas, la punition peut intervenir, dans un second temps. Le mettre au coin pour lui offrir une coupure et du temps pour réfléchir peut, par exemple, avoir du sens, à condition de ne pas la répéter trop souvent pour ne pas qu’il s’y habitue et continue de le voir comme une punition. Vous pouvez alterner en lui confisquant un jouet, ou en le privant de sucrerie, par exemple.
Changer de regard sur les émotions des enfants
Mais il n’est pas toujours facile, sous le coup de l’émotion, de trouver les bons mots ou la punition adaptée. "Si les parents lèvent la main sur leurs enfants, c’est qu’ils n’ont pas accès à d’autres réponses à ce moment-là", souligne le psychologue Jérôme Lichtlé, sur son blog. Lors d’un moment de tension, il est donc conseillé de respirer fort, calmement, en continue, en portant attention autant à son inspiration que son expiration (retenir sa respiration favorise la montée du stress) voire de s’isoler quelques secondes pour prendre du recul.
" Colère, jalousie, culpabilité : beaucoup d'émotions de nos enfants sont connotées négativement. Il faut les réhabiliter "
L'idée est aussi de se demander en chaque circonstance s’il y a de réelles raisons de s’énerver. Pour cela, les spécialistes insistent sur la nécessité de changer de regard sur les émotions des enfants. "Colère, jalousie, culpabilité : beaucoup d'émotions de nos enfants sont connotées négativement. Il faut les réhabiliter. Dans notre société de normalisation, d'évaluation, d'efficacité, de rapidité, on veut cicatriser les blessures avant qu'elles soient ouvertes. [Ces émotions] ne sont pas une blessure. Elles sont un moyen de se construire", propose Philippe Grimbert, psychanalyste et auteur de Quand ça va, quand ça va pas…. Leurs émotions expliquées aux enfants.
Ne pas hésiter à se faire accompagner
Malgré ces conseils, il n’est pas toujours facile de faire passer un message à un enfant particulièrement entêté. Certains médecins ont donc des techniques pour aider à communiquer. Pourquoi, par exemple, ne pas utiliser des poupées ou des peluches, pour rejouer la scène qui a provoqué votre réprobation ? "Un enfant, surtout en dessous de trois ans, n’a pas la capacité de réfléchir sur lui-même. Rejouer la scène de sa colère avec des poupées et des peluches peut lui permettre de prendre conscience des faits et donc que ce n’est pas bien ce qu’il vient de faire", avance la pédopsychiatre Nicole Garret-Gloanec, spécialiste des tout-petits au CHU de Nantes (Loire-Atlantique), dans 20 Minutes.
Si vraiment le dialogue ne passe pas, il peut être pertinent de se faire accompagner. N’hésitez pas à vous tourner vers le médecin de famille, puis vers un psychologue ou un pédopsychiatre. "L'enfant ne pourra évoluer que si son parent avance lui aussi. Les parents qui ont eu une enfance difficile ou qui ont été battus, reproduisent souvent le même rapport à la soumission ou font preuve d'un laxisme total. La parole du thérapeute sert à trouver les mots justes, il peut expliquer à l'enfant que son parent n'est pas ‘méchant’, mais qu'il a des difficultés lui aussi. C'est un travail commun", développe le psychologue Jean-Louis Aubert dans Ouest France. Et de conclure : "Etre parent, c'est un métier très difficile. Le fait que nos enfants soient confrontés à nos faiblesses les éduque aussi. Personne n'est tenu à la perfection".