Pendant 70 jours, 135 sous-mariniers vivaient à bord du Redoutable, enfermés dans une odeur de rouille. Elle prend encore le nez à l’entrée. Il y faisait plus de 30 degrés en raison des machines qui assuraient le fonctionnement du réacteur. Toutes sont restées intactes. Les pompes, les tuyaux, les câbles s’emmêlent encore du sol au plafond.
L’ensemble de ces bijoux technologiques de l’époque devait fonctionner parfaitement, pour que les 16 missiles nucléaires puissent être lancés n’importe quand. Les sous-mariniers étaient tous ingénieurs, mécaniciens, électriciens : leur travail consistait à vérifier, jour et nuit, qu’aucun incident ne puisse jamais se déclarer. Dans les engins nucléaires actuels, cela se passe exactement de la même manière. Europe 1 vous emmène à bord du Redoutable, aujourd’hui exposé à la Cité de la Mer de Cherbourg, en compagnie d’anciens sous-mariniers.
Crédits : Vincent Rustuel- CITE DE LA MER
800 fois la puissance de la bombe d’Hiroshima
Le Redoutable, Michel Le Gall y a vécu plusieurs missions, à la fin de la Guerre froide entre 1988 et 1999, en tant qu’instrumentiste : "Un bateau comme ça, c’était 800 fois la puissance d’Hiroshima", décrit-il à l’extérieur de l’appareil, en désignant les 16 trappes des missiles sur le dos du sous-marin.
Crédits : Vincent Rustuel-CITE DE LA MER
"Les missiles à l’heure actuelle, sont encore plus performants : leur portée va bien au-delà des 3.000 km, ils sont encore plus précis… Alors même que ceux du Redoutable étaient déjà très puissants", ajoute-t-il. Mais sur cette dimension très particulière de leur métier, les sous-mariniers ne se posent pas de question. Si l’ordre est donné, ils s’exécutent, déclare simplement Xavier Ruelle, ancien officier, face au fameux bouton de tir au centre du Redoutable : "Là vous avez le clavier pour rentrer le code, et là-bas vous avez encore une console avec le fameux bouton, et la séquence de lancement des missiles s’enclenche", montre-t-il.
Crédits : Louise Sallé / Europe 1
Coupés du monde
Les sous-mariniers ne savent pas qui ils attaquent, puisqu’ils ignorent tout du lieu où ils se trouvent et de ce qu’il se passe à l’extérieur. L’isolement est total, loin de la famille. "On recevait tous les dix jours, vingt mots de notre famille", raconte-t-il. "C’était des mots-clés, TVB pour 'tout va bien'". Mais seules les bonnes nouvelles étaient autorisées à être annoncées. Les mauvaises, telles que les décès, étaient bannies des messages pour ne pas perturber la concentration et le mental des hommes à bord.
Crédits : Louise Sallé
Se tenir au courant de l’actualité était également strictement interdit. "J’ai appris l’effondrement des tours jumelles du 11 septembre 2001 tout seul dans ma chambre, un soir où je rentrai de mission, fragile psychologiquement", relate Xavier. "Je n’étais pas bien du tout", confie-t-il.
"Ceux qui possèdent l’arme nucléaire se parlent d’égal à égal"
Depuis 55 ans, ces règles de vie à bord ne changent pas. Les sous-mariniers actuellement en mission ignorent ainsi tout de la guerre en Ukraine, d’après Xavier Ruelle. Et pour l’ancien officier, également président de l’association des anciens sous-mariniers de Cherbourg, c’est grâce à ces hommes, enfermés sous la mer, qu’une sortie des tensions avec la Russie est possible.
Crédits : Vincent Rustuel-CITE DE LA MER
"Le président français peut parler d’égal à égal avec le président russe, ainsi qu’avec les présidents chinois et américains", explique-t-il. "Ceux qui disposent de ces armes vont forcément discuter avant d’aller au-delà d’un certain niveau de tensions. Parce qu’après, il n’y a pas de chemin de retour, c’est la guerre nucléaire", souligne Xavier, "et ça, personne n’en veut." Au moins un sous-marin français nucléaire lanceur d’engin, tel que Le Redoutable, rôde en permanence en mer.