Le malaise est profond, la contestation ne faiblit pas. Jeudi, une manifestation du personnel soignant des urgences est organisée à Paris. Au beau milieu du congrès des urgentistes, où la ministre de la Santé Agnès Buzyn n'a pas encore confirmé sa venue, cette mobilisation se veut le point d'orgue d'actions de plus en plus remarquées depuis des semaines. Entamée dès le mois de décembre dernier, une grève a, depuis, essaimé dans des dizaines d'établissements partout en France.
83 services en grève
Tout a commencé à l'hôpital de Lons-le-Saunier, dans le Jura, fin 2018. Le projet de fermeture de l'une des deux lignes du service mobile d'urgence et de réanimation (SMUR) suscite alors une levée de boucliers au sein de l'établissement. À la mi-mars, le personnel des urgences de Saint-Antoine, à Paris, entame lui aussi une grève illimitée après une série d'agressions sur les soignants. Si le catalyseur du conflit n'a rien à voir, les causes des problèmes et les doléances, elles, sont similaires : le manque d'effectifs et de moyens, moult fois dénoncés par les urgentistes.
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La colère fait alors tâche d'huile, soutenue et encadrée par les principaux syndicats hospitaliers (CGT, SUD, FO). Le collectif Inter-Urgences, créé début avril, recensait mercredi 83 services en grève un peu partout en France. Lors d'un appel à un débrayage symbolique de cinq minutes, le 28 mai, par l'association Samu-Urgences de France, "plus de 150 services ont répondu", assure François Braun, chef de service au CHR de Metz-Thionville.
"Les gens sont épuisés"
Un nouveau palier a été franchi la semaine dernière, lors du week-end de l'Ascension. À Lons-le-Saunier, de nombreux soignants se mettent en arrêt maladie. "Les gens sont épuisés", justifie le docteur Eric Loupiac, médecin urgentiste dans l'établissement, au micro d'Europe 1. "Il faudrait que, pour les urgences et le SMUR, nous soyons six médecins le jour et quatre la nuit. Nous sommes trois le jour et trois la nuit en ce moment, cela devient absolument insupportable."
Même chose à l'hôpital Lariboisière, à Paris : dans la nuit de lundi à mardi, "une vingtaine de personnels des urgences" se mettent en arrêt maladie et ne prennent pas leur service. "C'était le moment d'envoyer un signal fort", explique Hugo Huon, infirmier, à l'AFP. L'argument revient, encore et toujours : "Les équipes sont épuisées". "La situation aux urgences est devenue intenable", réagit Patrick Pelloux, le président de l'Association des médecins urgentistes de France, sur Twitter. "L'action des personnels des urgences Lariboisière est juste et témoin du ras-le-bol. Travailler aux urgences ne peut pas être un sacrifice mais un travail au service des malades, et pas un danger permanent et violent. On ne peut pas faire mieux avec moins ! C'est faux !"
La situation aux urgences est devenue intenable. L action des personnels des urgences Lariboisiere est juste et témoin du ras le bol. La ministre doit réagir et bouger les lignes #urgences#greve
— Patrick Pelloux (@PatrickPelloux) 4 juin 2019
Travailler aux urgences ne peut pas être un sacrifice mais un travail au service des malades et pas un danger permanent et violent. On ne peut pas faire mieux avec moins ! C est faux !! #soutienalagrevedesurgences#urgences
— Patrick Pelloux (@PatrickPelloux) 4 juin 2019
Réquisition du personnel
La réaction des pouvoirs publics et des directions hospitalières est immédiate. La semaine dernière, à Lons-le-Saunier, les gendarmes sont venus au beau milieu de la nuit réquisitionner le personnel, sur ordre préfectoral. "Ils ont réveillé tout le monde", raconte à Europe 1 Marie, infirmière. "Le but, c'était que je reçoive une réquisition pour aller travailler le lendemain [mercredi] matin à 7 heures." Alors que ce jour-là devait être son jour de repos.
"Nous avons des médecins qui ont franchi une ligne rouge en utilisant l'arrêt maladie comme moyen de pression dans le débat", balaie Guillaume Ducolomb, le directeur de l'hôpital de Lons-le-Saunier. Interrogée mardi sur le sujet, Agnès Buzyn a reconnu "une très grosse fatigue des personnels aux urgences" sur France Inter. Mais a également fustigé un "dévoiement de ce qu'est un arrêt maladie". "En général, les soignants en grève viennent soigner avec un brassard pour assurer la continuité des soins. [Se mettre en arrêt maladie] ce n'est pas bien, cela entraîne une surcharge de travail pour les autres. Nous l'avons vu à Lons-le-Saunier, ce sont les ambulanciers, ce sont les pompiers, ce sont les médecins libéraux qui ont pris en charge tous les patients. En faisant cela, on accroît la fatigue des autres."
L'attitude d'Agnès Buzyn critiquée
Des propos qui ont fait bondir le collectif Inter-Urgences. "La surcharge de travail est permanente et reste le fruit de notre politique de santé", a-t-il réagi dans un communiqué le jour même. Sur Europe 1, le médecin Christophe Prudhomme, porte-parole de l'Association des médecins urgentistes de France, a fustigé une ministre qui "ne travaille pas avec nous". "Il y a un collectif et des syndicats qui ont déposé des préavis de grève, nous n'avons pas été reçus jusqu'à présent. Si la ministre persiste dans son refus de recevoir les représentants des salariés, le collectif Inter-Urgences, avec les syndicats, oui" le conflit social va s'étendre, prédit l'urgentiste.
Mercredi, la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, a tenté de contenir l'incendie. "Je comprends ce que vivent aujourd'hui les urgentistes", a-t-elle assuré sur RTL. "Je comprends leur colère et leur désespoir et je veux les assurer de la solidarité de l'exécutif. Je ne jette la pierre à personne. J'appelle tout le monde à essayer de converger pour trouver des solutions."
En attendant la convergence, les urgentistes en colère ne bougent pas sur leurs revendications : des augmentations de salaire, des effectifs en hausse et un arrêt immédiat des fermetures de services d'urgences et de lignes de SMUR. Jeudi, ils ont prévu plusieurs actions symboliques sur le parcours de leur manifestation, qui ralliera la gare Montparnasse et le ministère de la Santé à partir de 13 heures. Notamment de s'enchaîner avec des contentions hospitalières pour exprimer le manque de moyens, et de déverser des coton-tige pour "que les fonctionnaires du ministère de la Santé puissent enfin se nettoyer les oreilles et soigner leur étonnante surdité".