Les Français et les médias, c'est très souvent un rapport amour-haine et cette tendance s'accentue depuis que les fake-news vont bon train sur Internet. Le think tank Destin Commun l'a bien compris et a souhaité se pencher sur le sujet. Laurence de Nervaux, la directrice et co-auteure de l'étude "Information : cinquante nuances de défiance" a dévoilé au micro d'Europe 1 ce qui pousse les Français au rejet de certains canaux d'informations.
"Continuum de la défiance envers l'information"
Destin Commun fonctionne comme un laboratoire d'idées, avec comme motivation, la réflexion pour une société plus soudée, moins tentée par le repli sur soi, par les extrêmes. Ce qui ressort de l'étude inédite, c'est surtout que sept Français sur dix se disent inquiets aujourd'hui de la désinformation. Ils sont d'ailleurs inquiets pour eux-mêmes et pour leurs proches.
Évidemment, le think tank n'oppose pas les Français en deux camps, celui des rationnels et des complotistes mais observe ce qu'il appelle un "continuum de la défiance envers l'information" et il concerne la majorité des Français, décrypte Laurence de Nervaux. "Ils ont un rapport assez dégradé, voire pathologique à l'information, qui se traduit par trois grands types de critiques." La co-auteure de l'étude remarque que ces critiques de l'information peuvent induire trois grands types de réactions résultant à des "sécessions du collectif" et "des sécessions de la communauté nationale".
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Le risque de la "noyade"
Peut-être le ressentez-vous aussi, le sentiment de noyade face à un choix abyssal de sources d'informations. "Il y a la question de la saturation, de l'excès. Une personne qui nous dit 'Trop de chaînes, trop de choix... du coup je ne regarde plus rien'. Donc en fait, il a une sensation quasiment de noyade dans une information pléthorique.", observe la directrice de Destin Commun.
"Et du coup, la réaction face à cet excès d'informations, ce serait la rupture, avec en même temps une forme d'illusion. Parce que beaucoup de gens nous ont parlé d'overdose, mais quand ils disent 'Je coupe', on comprend qu'en fait, ils continuent à être assez accros."
Le risque de la "dépression"
Parfois, actualité est synonyme de mauvaises nouvelles et le cerveau n'arrive pas toujours à relativiser. Le consommateur peut alors avoir l'impression d'un traitement trop négatif de l'information. C'est là que survient le "risque de dépression", que pointe notamment l'étude. Face à ce risque, Laurence de Nervaux et son équipe ont identifié une réaction qu'ils appellent "Une tentation de customisation du réel. C'est-à-dire : je vais être tentée de faire mon actualité à ma sauce, face à une actualité qui serait trop anxiogène et qui ne me conviendrait pas ce qui évidemment est préoccupant du point de vue du collectif, et de la cohésion sociale.". Le think tank chiffre par ailleurs à 28% les Français ayant déclaré ne plus suivre l'actualité autant qu'avant, la trouvant généralement trop négative.
Enfin, le risque de "l'égarement"
Un troisième risque que pourrait engendrer la défiance envers les médias, c'est celui de l'égarement. Pourquoi l'égarement ? "Parce que les Français, très largement, sont dans une défiance vis-à-vis de la fiabilité de l'information et considèrent qu'elle manque d'impartialité. Du coup, cela alimente des réactions de défiance qui parfois vont jusqu'à des orientations complotistes." Les sondages témoignent de cette défiance, seule une infime proportion des Français (9%) affirment qu'ils n'ont aucune difficulté à faire confiance aux informations qu'ils lisent ou voient, et 40% considèrent que les responsables politiques manipulent les informations.
Faire de la prévention dans la consommation de l'information
Pour Laurence de Nervaux, il est donc essentiel d'opérer à une prévention dans l'éducation aux médias, pour lutter contre les risques d'une France socialement fracturée et désinformée. Pour elle, cela se fait "en rappelant la différence entre tout simplement, un fait et une opinion, et la différence entre une source journalistique et une source de l'ordre du témoignage." Un rappel essentiel lorsque l'on sait que "beaucoup de Français font davantage confiance à leurs proches qu'aux journalistes..."
Les Français, lucides face aux réseaux sociaux
Sur le long terme, on remarque l'effet délétère que peuvent avoir les réseaux sociaux sur la perception des Français sur le pays. Laurence de Nervaux l'explique par une actualité déjà anxiogène à laquelle on ajoute le rôle amplificateur apporté par les réseaux sociaux. Mais les Français restent lucides sur ces outils contemporains "puisque deux tiers d'entre eux considèrent que les points de vue extrêmes prennent trop de place sur les réseaux sociaux."
L'équipe en charge de l'étude "Information : cinquante nuances de défiance" a d'ailleurs recueilli plusieurs témoignages, qui soulignent la détresse, voire le mal-être que peuvent ressentir certaines personnes. La guerre en Ukraine par exemple, qui fait partie de l'actualité récente, a contribué au sentiment d'overdose et d'endoctrinement par sa récurrence. À ce sujet, Nathalie s'est confiée à la directrice du think tank : "J’ai eu trop d’infos pour mon petit cerveau, et j’en ai pleuré."
De son côté, Damien fait part de sa vision désabusée du milieu journalistique : "Les médias sont plus alarmistes justement pour rendre le citoyen plus soumis à l’obéissance, pour mieux imposer leur point de vue. Un journaliste qui dit la vérité n’est plus journaliste."