Depuis trois jours, la cour d’assises de Rioms se penche sur le martyre de Fiona. Depuis trois jours, le calvaire de cette fillette de cinq ans, dont le corps n’a jamais été retrouvé, est passé au crible. Qui de la mère ou du beau-père a porté les coups fatals ? Dans quelles conditions a-t-elle été enterrée ? Pour comprendre, ou tout du moins essayer, le tribunal se penche également sur "l’avant" : les soupçons de maltraitance physique au cours des dernières semaines mais aussi les négligences à l’instar de ces après-midi passés dans un squat pendant que ses parents se droguaient ou ces journées d’école si fréquemment ratées…
Selon un sondage Harris interactive effectué pour L'Enfant Bleu en 2015, la proportion de Français disant avoir souffert de maltraitance au cours de leur enfance atteint 14%. L’association, partie civile dans le procès, a publié mardi une série de recommandations pour renforcer la protection des mineurs. Parmi les mesures prônées, faire évoluer la prescription. Elle propose l’imprescriptibilité pour les crimes et les délits les plus graves, notamment ceux relatifs aux violences sexuelles, ou commis par une personne ayant autorité. Dans la même optique, elle réclame l’élargissement du délai à 40 ans (à partir de la majorité de la victime) pour tous les délits physiques et psychologiques, contre 3 à 20 ans aujourd’hui, selon les cas.
Phénomène d’oubli sélectif. Dans les affaires de crimes sexuels sur mineur, le code pénal prévoit pourtant d’ores et déjà une exception : la prescription, qui court 20 ans, ne démarre qu’à la majorité de la victime. Insuffisant, selon le secrétaire général de l’association, Michel Martzloff. "Lorsque les gens sont victimes de viol ou de tout autre acte traumatisant, il se passe un phénomène d’oubli sélectif qui peut durer quinze, vingt, trente ans." Mais rarement toute une vie. Et parfois, lorsque les souvenirs ressurgissent, il est trop tard. Exemple le plus récent : l’animatrice Flavie Flamant qui raconte dans un livre avoir subi des viols lorsqu’elle était ado qu’elle a longtemps refoulés. Quand elle s’en est souvenu, le délai était écoulé et elle n’a pu porter plainte. "C’est insupportable pour ces victimes de ne pas pouvoir être reconnu comme tel, c’est une souffrance supplémentaire", s'insurge l'associatif.
D’autant que statistiquement, les crimes, notamment sexuels, sont commis au sein de la famille. "Même à 40 ans, ce n’est pas simple de dénoncer son père ou son grand-père, on a peur de se retrouver au ban de la famille", note le juge pour enfant Laurent Gebler, président de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF).
Difficulté d’enquêter 30 ans après. Mais qu’attendre d’un procès plusieurs décennies après les faits ? Plus le temps s’écoule entre la commission d’un crime et sa dénonciation, plus il est difficile de réunir des preuves, de recouper des témoignages. Les chances que l’enquête n’aboutisse pas ou qu’elle conduise à un non-lieu sont donc importantes. Par ailleurs, "trente ans après les faits, les sanctions sont souvent plus légères", note le magistrat. Entretenir l’espoir d’une condamnation peut avoir des effets dévastateurs.
L’autre difficulté est symbolique. En France, l’imprescriptibilité est réservée aux crimes contre l’humanité. Elle est de 30 ans en matière de terrorisme ou de crime de guerre. "Symboliquement, ouvrir l’imprescriptibilité aux crimes contre les enfants est la porte ouverte à tout car on trouvera toujours des actes atroces, choquants", assure Laurent Gebler. C’est notamment l’un des arguments pour lequel, le 14 octobre, le Sénat a rejeté l’amendement de Chantal Jouanno visant à allonger ce délai à trente ans.