Octobre 2011. Autolib’ est lancé en grande pompe par le maire de Paris Bertrand Delanoë et Vincent Bolloré, qui a remporté quelques mois plus tôt l’appel d’offres pour lancer un service d’autopartage. Il s’agit là d’une première mondiale pour une grande métropole, et ni l’élu ni l’homme d’affaires ne cachent leur satisfaction. Moins de sept ans plus tard, le service, qui a tourné au fiasco financier, est au bord du gouffre.
Il pourrait s’arrêter dans les prochains jours, si la centaine d’élus franciliens composant le Syndicat Autolib' Vélib' Métropole (SAVM), l’instance chargé de gérer Autolib’, décident jeudi après-midi de rompre le contrat le liant théoriquement jusqu’en 2023 avec le groupe Bolloré. Car les deux parties se renvoient depuis des jours, par presse interposée, la responsabilité du déficit dont souffre le service, estimé par Bolloré à un total de 293,6 millions. Une fin probable en forme de gâchis né d’une brouille grandissante et qui pourrait pénaliser des dizaines de milliers d’abonnés. Comment en est-on arrivé à un tel fiasco ?
Des débuts en fanfare, et un succès certain. Tout avait pourtant bien commencé. En octobre 2011, c’est un Vincent Bolloré pas peu fier qui lance officiellement son service. L’événement est tel que le gouvernement de l’époque a dépêché un ministre, celui de l’Industrie, Eric Besson (ci-dessous, photo AFP), pour participer à l'inauguration. L’industriel breton table alors sur 200.000 abonnés dans les trois à quatre ans à venir.
D’emblée, le service est un succès. En décembre 2016, le groupe Bolloré communique sur le grand succès d’Autolib’. Les petites voitures… grises ont alors parcouru 165.360.000 kilomètres, soit 4.000 fois le tour de la Terre. La durée moyenne de location est de 37 minutes, et un véhicule est loué toutes les cinq secondes. Le groupe revendique aussi 132.500 abonnés actifs.
Aujourd’hui, Autolib’, c’est près de 6.000 véhicules, pour 1.100 stations, près de 6.000 réparties dans une centaine de villes, jusqu’à Yerres, dans l’Essonne. Et près de 150.000 abonnés actifs. Des chiffres impressionnants. Mais en fait, dès novembre 2016, le ver est dans le fruit, et les résultats financiers ne sont pas au rendez-vous.
Des prévisions trop optimistes. En fait, dès novembre 2016, Vincent Bolloré fait savoir au SAVM qu’en 2023, au terme du contrat, le déficit sera de 179,3 millions d’euros. Or, le contrat signé en 2011 stipule que le groupe Bolloré ne serait contraint de prendre à sa charge le déficit final qu’à hauteur de 60 millions d’euros. Au-delà, l’addition serait réglée par les communes membres du Syndicat, dont Paris, pour plus de la moitié de la somme.
Sentant le coup venir, le SAVM commande alors un audit, dont les conclusions sont remises en janvier 2017. Le document, qui fait près de 80 pages, et dont Le Monde a récemment révélé la teneur, fait état de prévisions trop optimistes de la part du groupe Bolloré dès la lancement du service et met en évidence des dépenses d’investissement plus élevées. Ainsi, l’installation des 1.100 stations a coûté, en 2016, 34,3 millions de plus qu’initialement prévu. En outre, la facture du système informatique est passée de 15,7 millions estimés en 2011 à 64,2 millions à l’horizon 2023. Notamment parce que le coût d’installation dans chaque véhicule a été mal évalué.
Dans le même temps, l’offre de mobilité offerte aux Franciliens a aussi largement évolué. L’émergence des VTC a sans doute porté un coup très dur à Autolib’, comme le déploiement de scooters électriques en libre-service. Clairement, la maintenance des véhicules n’est plus au rendez-vous. Ils sont de plus en plus sales et de plus en plus abîmés. Et l’avenir du service s’assombrit encore.
Une brouille larvée qui éclate au grand jour. Pour tenter de réduire les déficits, un comité de conciliation est mis en place après la remise de l’audit entre le groupe Bolloré et le SAVM. Une tentative qui se soldera, un an et demi plus tard, par un échec tonitruant. Les deux parties ne parviennent pas à s’entendre, et en mars, un rapport conclut à l’échec des négociations sur le partage de la dette.
Le conflit, larvé, éclate au grand jour le 25 mai, quand le groupe Bolloré adresse une lettre, rendue publique, pour réclamer 46 millions d’euros par an jusqu’en 2023 au SAVM. "Abracadabrantesque, réagit la maire de Paris Anne Hidalgo, qui organise la riposte. Depuis, groupe et syndicat mixte ne sont d'accord sur rien. Chacun se renvoie la responsabilité de la résiliation du contrat et au-delà, celle de l'avenir des 254 salariés que chacun veut voir pris en charge par l'autre. Le divorce sera probablement acté jeudi après-midi, après la décision de rupture du SAVM.
Quant au coût d'une résiliation anticipée, elle est chiffrée côté Bolloré à 300 millions d'euros mais à seulement "plusieurs dizaines de millions d'euros" pour la présidente du syndicat Catherine Baratti-Elbaz. Un désaccord laissant augurer là aussi une belle bataille judiciaire.