L'enquête judiciaire visant la gestion controversée du Fonds Marianne de lutte contre le "séparatisme" est venue percuter les travaux de la commission d'enquête du Sénat avec des perquisitions mardi aux domiciles de plusieurs protagonistes-clés du dossier, notamment le journaliste Mohamed Sifaoui et le préfet Christian Gravel.
Mohamed Sifaoui, co-responsable de la principale association bénéficiaire du fonds, était attendu mardi à 9H00 devant les sénateurs mais coup de théâtre à l'ouverture des débats : "Il s'avère, que depuis 6 heures du matin, une perquisition est en cours à son domicile", l'empêchant de pouvoir honorer ce rendez-vous, a déclaré Claude Raynal, président de cette commission d'enquête, en lisant un message de l'avocat du journaliste.
Des sources judiciaire et proches du dossier ont confirmé cette perquisition et celle du domicile de l'autre responsable de l'association, Cyril Karunagaran. MM. Sifaoui et Karunagaran étaient les deux porteurs du projet de l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM), association lauréate qui a reçu la plus grosse somme de ce fonds (355.000 euros). Le siège parisien de cette association était lui aussi visé par une perquisition, selon une source proche du dossier à l'AFP.
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De même, une perquisition avait lieu au domicile de Christian Gravel, l'ancien patron démissionnaire de la structure gestionnaire du Fonds Marianne au ministère de l'Intérieur, selon des sources judiciaire et proches du dossier. Ces perquisitions interviennent dans le cadre d'une enquête menée par un juge d'instruction et ouverte le 4 mai "des chefs de détournement de fonds publics, détournement de fonds publics par négligence, abus de confiance et prise illégale d'intérêts relative à la gestion du fonds Marianne" et sont réalisées par des enquêteurs financiers (OCLCIFF), a précisé la source judiciaire à l'AFP.
Ce fonds visait à financer des associations promouvant les valeurs de la République pour lutter contre le "séparatisme"
Lancé le 20 avril 2021 par Marlène Schiappa, alors ministre déléguée à la Citoyenneté, après le choc causé par l'assassinat du professeur Samuel Paty , ce fonds, initialement doté de 2,5 millions d'euros, visait à financer des associations promouvant les valeurs de la République pour lutter contre le "séparatisme" et l'islam radical sur les réseaux sociaux.
Mohamed Sifaoui était attendu par la commission d'enquête du Sénat, qui entend depuis la mi-mai plusieurs protagonistes de cette affaire. "Il s'était engagé à venir parler et c'est ce jour qui a singulièrement été choisi pour perquisitionner son domicile, rendant impossible cette comparution", a réagi auprès de l'AFP son avocat Me Bernard Benaiem. Il s'est interrogé sur "cette concomitance des dates et des événements". "Je ne pense pas que cela puisse être gratuit", a-t-il estimé. "Les opérations sont programmées sans tenir compte des agendas de chacun sinon on ne ferait rien", a rétorqué une source proche de l'enquête.
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Christian Gravel, ex patron du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), a démissionné il y a une semaine, après la publication d'un rapport accablant de l'Inspection générale de l'administration (IGA), dénonçant, entre autres, le "traitement privilégié" par le CIPDR de l'USEPPM.
L'IGA a également dénoncé de nombreux "manquements" de l'association, à la fois dans le processus de candidature, puis dans l'utilisation des fonds. Elle a relevé de graves "irrégularités", comme par exemple "des doublements de salaires pour les deux porteurs du projet USEPPM", avec in fine un résultat bien décevant en terme de contenus : 451 communications sur différents comptes, 8 articles sur un site internet.
Schiappa auditionnée mercredi
Ni Marlène Schiappa , actuelle secrétaire d'Etat à l'Economie sociale et solidaire, ni son ancien directeur de cabinet, Sébastien Jallet, n'étaient concernés mardi par les perquisitions. Marlène Schiappa doit être auditionnée mercredi matin par la commission d'enquête. Elle devra clarifier son rôle dans le processus de sélection des 17 associations lauréates, en particulier de l'USEPPM.
La semaine dernière, M. Jallet a révélé que la ministre était intervenue pour écarter une association pourtant validée par le comité de sélection. Il n'a pas souhaité donner son nom. Mais il s'agit de SOS Racisme, selon son président Dominique Sopo, qui avait présenté une demande de subvention de 100.000 euros.