C’est un projet qui pourrait embarrasser le gouvernement. Après avoir obtenu l’autorisation par arrêté préfectoral "de débuter ses explorations dans les eaux territoriales de la Guyane", le groupe Total va pouvoir y procéder à des opérations de forage à la recherche d’un potentiel gisement pétrolier. Un dossier crucial pour Total, mais qui fait bondir les associations de défense de l’environnement, qui n'hésitent pas à mettre en cause l'exécutif et le décalage entre le projet et les promesses gouvernementales sur l'écologie.
En quoi consiste ce projet ?
La société Total Exploration & Production Guyane française SAS vise dans un premier temps le forage d’un puits d’exploration dans la partie centrale du permis "Guyane Maritime" à partir de fin 2018-début 2019 et sur une période de quatre mois.
Le puits devrait atteindre les 2.000 mètres de profondeur, précise Total sur son site, et se situe à près de 170 kilomètres des côtes guyanaises.
Les recherches de Total sont pour l’instant un échec. Si les opérations permettaient de trouver du pétrole, le groupe pourrait procéder à quatre forages supplémentaires d’ici 2022. Reste que pour Total, les recherches n’ont pour l’instant pas rencontré le succès escompté. "Entre 2012 et 2013, cinq forages ont déjà été réalisés dans la partie sud-est, sans succès", note le rapport de la commission d’enquête publique sur cette nouvelle demande dans un rapport publié en septembre.
Plus de 7.000 avis défavorables dans l’enquête publique
C’est peu dire que le projet de Total n’a pas convaincu les Guyanais. La commission d’enquête, dont les travaux ont été conduits entre le 16 juillet et 23 août, a enregistré une participation record, recueillant 7183 avis. Et sur l’ensemble de ces avis, 7173 étaient défavorables aux forages.
"Un potentiel d’exploration intéressant". La commission a finalement émis un avis favorable, notant notamment que "les études menées par Total entre 2014 et 2015 (…) permettent de mettre en évidence un potentiel d’exploration intéressant dans la zone centrale du permis".
Les préoccupations écologiques restent néanmoins au cœur d’un rapport de l’Autorité environnementale publié en mai. Si l’Autorité reconnaissait un dossier "bien construit", elle s’inquiétait de la "faiblesse de certains volets importants pour appréhender les impacts et les risques du projets", comme la toxicité des produits utilisés, l’impact sur la macrofaune marine, la modélisation des conséquences d’une marée noire, etc.
Les trois recommandations de la commission. Consciente des inquiétudes autour du projet, la commission d’enquête a donc accompagné son avis favorable de trois recommandations : "Remettre en activité la commission de suivi et de concertation sur le pétrole en Guyane", "établir un cahier des charges spécifiques sur les procédures de rejet des boues dans l’océan et le traitement des boues", et enfin "mettre en œuvre un contrôle effectif par l’autorité publique de ces rejets et traitements des boues toxiques".
Pourquoi le projet inquiète-t-il les écologistes ?
En pointe contre les opérations d’exploration d’hydrocarbures, les écologistes et associations de défense de l’environnement se sont évidemment inquiétés de l’autorisation accordée au projet de Total.
Un récif corallien "unique" menacé ?Dans un communiqué, l’ONG Greenpeace s’est dite "atterrée". Selon l’association, les forages prévus se trouvent à proximité d’un récif corallien unique, au large de l’embouchure du fleuve Amazone. En mai, sur son site, Total évoquait de son côté, "l’existence d’un plateau rocheux discontinu avec quelques hauts-fonds (…) présentant des peuplements biologiques épars".
Interpellé sur Twitter, le nouveau ministre de la Transition écologique François de Rugy a confirmé mercredi que les "récifs coralliens se trouvent à environ 20 kilomètres de la zone du forage", tout en ajoutant que "le préfet a décidé, dans cet esprit d’extrême précaution, de la mise en place d’une surveillance supplémentaire et spécifique de la flore et la faute de la zone concernée".
Bien que les récifs coralliens se trouvent à environ 20km de la zone du forage, le Préfet a décidé, dans cet esprit d’extrême précaution, de la mise en place d’une surveillance supplémentaire et spécifique de la flore et la faune de la zone concernée. (2/3)
— François de Rugy (@FdeRugy) 24 octobre 2018
Cet arrêté est-il contraire à la loi hydrocarbure ?
Cette autorisation préfectorale peut en effet sembler en contradiction avec les promesses de l’exécutif en matière environnementale. En 2017, Nicolas Hulot avait porté la "loi hydrocarbures", interdisant leur exploitation après 2040 et mettant fin en 2018 à l’attribution de nouveaux permis de recherche.
Dès lors, pourquoi la préfecture a-t-elle accordé cette autorisation à Total ? Comme le rappelle l’avocat Arnaud Gossement dans Libération, "la loi empêche de commencer une nouvelle procédure, mais le projet avait démarré antérieurement à la promulgation de la loi".
La loi ne revient pas sur les "droits acquis". Le permis "Guyane Maritime" date en effet de 2001 et a été prolongé à trois reprise, une première fois en 2007, puis en 2011 et en septembre 2017, soit quelques jours avant la promulgation de la loi. Cette dernière prolongation court jusqu’en juin 2019.
Invité à s’expliquer sur cette prolongation sur Europe 1 en septembre 2017, Nicolas Hulot avait alors fait valoir que la loi ne permettait pas de revenir sur les "droits acquis".
Permis de recherche d'hydrocarbure accordé à Total :"On ne peut pas revenir sur des droits acquis" @N_Hulot, Ministre @Min_Ecologie#E1Matinpic.twitter.com/eZCSM8XUaf
— Europe 1 (@Europe1) 22 septembre 2017
Les critiques de Ségolène Royal. Mercredi, François de Rugy ne disait pas autre chose, expliquant que ce forage "est le résultat d’un permis d’exploration accordé en 2001, sur lequel il est légalement impossible de revenir".
Une explication qui n’a pas convaincu l’ancienne ministre Ségolène Royal. "Ce permis était arrivé à expiration et il vient d’être resigné, ce que j’avais refusé à Total en raison de l’accord de Paris sur le Climat", a-t-elle répondu sur Twitter.