Le tabou de la sélection à l'université est déjà tombé avec la loi "orientation et réussite des étudiants", promulguée en mars dernier. En sera-t-il bientôt de même avec les frais de scolarité ? C'est en tout cas ce que préconise un rapport de la Cour des comptes qui s'apprête à être transmis à la commission des finances de l'Assemblée nationale, et que Le Monde révèle mercredi. Ce document de 200 pages, commandé par le député du Calvados LREM Fabrice Le Vigoureux, s'intéresse au scénario "réaliste et acceptable", selon ses auteurs, de la hausse des frais de scolarité à l'université.
Les frais en master multipliés par 4. L'option retenue est celle d'une "hausse modulée des droits en fonction du cycle d'études", "en priorité en master". Autrement dit, pas question de toucher aux frais des trois premières années de licence, qui s'élèvent aujourd'hui à 170 euros annuels. Et ce, au nom du "principe d'égal accès à l'enseignement supérieur". En revanche, les magistrats de la rue Cambon préconisent une multiplication par quatre des frais à l'entrée en master, ce qui les ferait passer de 243 à 965 euros. Les frais de doctorat quant à eux doubleraient, passant de 380 à 781 euros par an. La Cour des comptes prévoit par ailleurs d'indexer ces montants sur l'inflation.
" Ce n'est pas acceptable. Une hausse équivaudra à une sélection sociale à l'entrée des études. "
"Sélection sociale". Si le gouvernement, par la voix de son Premier ministre Édouard Philippe, a fait valoir que la hausse des frais d'inscription à l'université pour les étudiants français et européens ne faisait pas partie de ses "projets", ces propositions font en tout cas bondir les syndicats étudiants. Auditionné par les députés commanditaires du rapport de la Cour des comptes, le premier d'entre eux, la Fage, a immédiatement "signalé [sa] ferme opposition à l'augmentation des frais d'inscription", souligne auprès d'Europe 1 sa présidente, Orlane François. "Ce n'est pas acceptable. Une telle mesure ne pourra que renforcer les inégalités. Aujourd'hui, des frais de 170 euros en licence et 243 euros en master, cela reste une difficulté pour certains jeunes. Une hausse équivaudra à une sélection sociale à l'entrée des études alors que l'on sait aujourd'hui que le diplôme, et surtout le diplôme niveau master, est un rempart contre le chômage."
"Les études supérieures sont un investissement". Pour Orlane François, il est tout simplement "faux de dire que les études sont gratuites aujourd'hui quand on sait que chaque contribuable paye pour financer l'enseignement supérieur via les taxes et les impôts". "Aujourd'hui, on a l'impression que l'étudiant est considéré comme un poids pour l'État, alors qu'il ne faudrait pas perdre de vue que les études supérieures sont un investissement", poursuit la jeune femme. "Le principe, c'est que cela rapportera par la suite, quand l'étudiant deviendra un actif qui cotise."
"Porte ouverte". La Fage est d'autant plus inquiète que le gouvernement a annoncé lundi une augmentation des frais de scolarité pour les étudiants internationaux. Une "porte ouverte à la hausse généralisée", prévient Orlane François, qui anticipe que "dans un an, deux ans", l'exécutif n'hésitera pas à franchir le pas en s'appuyant sur les travaux de la Cour des comptes.
" Les universités, soumises à de fortes contraintes de financement, peuvent difficilement rester à l'écart d'une réflexion sur les droits d'inscription. "
Renflouer les caisses. Dans leur rapport, les magistrats de la rue Cambon fixent un objectif clair à la hausse des frais d'inscription : renflouer les caisses des universités, en grandes difficultés financières. Selon le document, le modèle de "quasi-gratuit" est "battu en brèche". "Les universités, soumises à de fortes contraintes de financement, peuvent difficilement rester à l'écart d'une réflexion sur les droits d'inscription", est-il écrit.
Éviter un "effet d'éviction". Là encore, la Fage s'insurge. "Les frais d'inscription représentent 2% du budget d'un établissement", rappelle Orlane François. "Même une augmentation par 4 ne suffira pas à rétablir les comptes." Or, la Cour des comptes écarte dans son rapport une hausse plus importante qui couvrirait l'intégralité des coûts de formation, soit environ 10.000 euros par an, sur le modèle anglo-saxon des études supérieures. Et ce, en raison de l'"effet d'éviction" que cela pourrait entraîner.
Contreparties. Les magistrats de la rue Cambon estiment par ailleurs que la hausse des frais d'inscription ne va pas sans contreparties "en termes de service offert". Ils soulignent la nécessité d'améliorer les "conditions d'accueil et d'accompagnement des étudiants", ainsi que de mettre en place un nouvel échelon de bourses sur critères sociaux "ouvrant droit uniquement à une exonération des droits d'inscription".