Il se dit victime d'un "assassinat politique", par le biais d'une procédure "entièrement à charge". Un mois après l'ouverture d'une enquête préliminaire du parquet national financier (PNF), François Fillon, soupçonné d'avoir fictivement employé son épouse et ses enfants en tant que parlementaire, a appris sa convocation par des juges d'instruction aux fins de mise en examen, mercredi. "Respectueux des institutions", le candidat LR à l'élection présidentielle a assuré qu'il accepterait d'être entendu, tout en critiquant vivement la justice, dont l'état "n'est pas de nature à nous rassurer". "Je n'ai pas été traité comme un justiciable comme les autres", a martelé le député, suscitant la colère de nombreux acteurs du monde de la justice. Depuis les révélations du Canard Enchaîné, François Fillon a-t-il vraiment été victime d'un traitement particulier ? Europe1.fr fait le point.
- Fallait-il respecter une "trêve judiciaire" pendant la campagne ?
Comme la candidate du Front national Marine Le Pen, plusieurs proches de François Fillon ont appelé à une "trêve judiciaire" le temps de la campagne. L'un de ses principaux soutiens, Gérard Larcher, a ainsi appelé à "la retenue", rappelant qu'"immunité ne veut pas dire impunité" et craignant une "décision précipitée".
La campagne 2017 ferait-elle alors exception à un "usage républicain", prévoyant ce genre de pause dans les procédures judiciaires ? Non. L'usage a pu exister dans la course à l'Elysée, mais uniquement lorsque l'un des candidats était chef de l'État et bénéficiait ainsi d'un statut protecteur. Mais en l'absence de candidat-président, aucun texte ni tradition ne veut que des poursuites soient suspendues. "Les règles sont connues à l'avance et les acteurs qui se placent dans des zones d'ombre par rapport à ces règles savent ce qu'ils font", a expliqué à Europe1.fr le politologue et constitutionnaliste Olivier Rouquan.
- Le parquet national financier a-t-il ouvert son enquête trop vite ?
Parmi les arguments témoignant de son traitement spécifique par la justice, François Fillon, a affirmé, mercredi, que "l'enquête préliminaire a été ouverte en quelques heures". C'est vrai. Le 25 janvier, jour même des révélations du Canard Enchaîné, le PNF s'est saisi du dossier, lançant des investigations pour "détournement de fonds publics, abus de biens sociaux et recel de ces délits". Mais cette rapidité est-elle inédite de la part de cette juridiction ? Non. Depuis sa création en 2013, suite à l'affaire Cahuzac, ce parquet s'est déjà saisi de plusieurs affaires très vite, après des révélations de presse. Le 4 avril 2016, soit moins de 24 heures après la publication par le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) de son enquête sur les "Panama papers", le PNF avait ainsi ouvert une enquête préliminaire sur ce scandale.
Quid du délai de transmission des dossiers aux juges d'instruction ? Moins d'un mois après l'ouverture de son enquête, le PNF a décidé d'ouvrir une information judiciaire dans le dossier Fillon, donnant aux magistrats instructeurs la possibilité de mettre le candidat en examen, à quelques semaines du premier tour de l'élection présidentielle. Mais cette rapidité est à attribuer à un facteur extérieur : l'entrée en vigueur, la semaine prochaine, d'une loi sur la réforme de la prescription. Si le PNF n'avait pas transmis le dossier avant cela, les faits remontant à douze ans avant 2017 - soit 2005 -, auraient pu ne pas être pris en compte. Or ils représentent la majorité de l'affaire : Penelope Fillon a été employée en tant qu'assistante parlementaire de 1988 à 1990, puis de 1998 à 2000, puis de 2002 à 2007.
- La convocation aux fins de mise en examen a-t-elle été précipitée ?
François Fillon dénonce le fait que "dans une affaire de cette importance, une convocation aux fins de mise en examen soit lancée quelques jours à peine après la désignation des juges, sans qu'ils aient pris connaissance du dossier, sans procéder à des investigations supplémentaires, sur la simple base d'un rapport de police manifestement à charge." C'est vrai et faux. Le délai entre la transmission du dossier et la décision des juges de convoquer le candidat LR est certes très bref : confié aux magistrats vendredi soir, le dossier a connu son dernier rebondissement mercredi, soit cinq jours plus tard.
En revanche, contrairement aux dires du député de Paris, il ne s'agit pas seulement d'un rapport de police mais de multiples documents issus d'un mois d'enquête sous la houlette du PNF, dont les auditions par la police judiciaire de la famille Fillon et des témoins. Les juges d'instruction ont donc pu considérer qu'ils disposaient de suffisamment d'éléments pour envisager de placer des protagonistes du dossier en examen. Quant au calendrier de cette convocation, prévue deux jours avant la date limite de dépôt des parrainages pour l'élection présidentielle, l'explication est procédurale : le délai entre la remise de la convocation et l'audition en elle-même ne peut légalement pas être inférieur à dix jours.
À noter, enfin, qu'un précédent montre une rapidité de procédure similaire : l'ancien ministre socialiste du Budget Jérôme Cahuzac avait été mis en examen le 2 avril 2013, soit seulement 14 jours après l'ouverture d'une information judiciaire, le 19 mars. Mais contrairement à François Fillon, il avait reconnu les faits.
- Les recours du candidat ont-ils été injustement rejetés ?
Non. Mercredi, François Fillon a indiqué que ses avocats avaient "demandé à ce que la chambre d'instruction de la cour d'appel statue immédiatement sur les irrégularités nombreuses et graves de la procédure", ce qui leur a été "refusé". Mais jusqu'à présent, ces demandes n'étaient pas recevables. Seuls les statuts de mis en examen ou de témoin assisté permettent en effet un accès au dossier pour la défense, ainsi qu'un appel pour demander la nullité d'un acte d'enquête, d'une mise en examen en elle-même, ou pour contester le refus éventuel des juges de mener certaines investigations.
Si le candidat LR était mis en examen, ses avocats pourraient notamment contester le délit de détournement de fonds public. Depuis le début de l'enquête, ils soutiennent en effet que cette qualification ne s'applique pas aux parlementaires, qui ne sont à leurs yeux ni des personnes dépositaires de l'autorité publique, ni chargées d'une mission de service public. Chez les juristes, la question fait débat.