Gare de l'Est, heure de pointe. Deux hommes et une femme montent dans le métro. Ils font partie d'une brigade de police spéciale, chargée de traquer les "frotteurs" du métro. L'un des policiers - jean, manteau noir, capuche sur la tête - reste posté à une entrée. "Il faut se fondre dans la masse, être un usager comme 'monsieur et madame tout le monde'. Il faut être très naturels, sinon ils peuvent nous repérer", glisse-t-il.
Profiter de l'affluence aux heures de pointe. À peine le train parti, le policier en civil et ses deux collègues se mélangent à la foule des passagers immobiles. La forte affluence est une situation idéale pour les agresseurs sexuels. "Plus il y a de monde, plus c'est serré. Ils profitent du freinage et de l'accélération, qui créent des mouvement et font bouger les gens, pour se frotter à ce moment-là", explique le policier. Ces attouchements peuvent être faits avec leur main, ou directement avec leur sexe. Pour l'essentiel, ces frotteurs agissent dans le nord de Paris.
Une mécanique bien rodée. Pour surprendre ces agresseurs sexuels, la brigade a appris à d'abord observer le regard des suspects, dans leur bulle. Les trois policiers en ont d'ailleurs repéré un. "Il va se concentrer pour ne regarder que des derrières de femmes. À chaque fois, il va monter derrière une femme. À la station d'après, il va changer de porte pour repartir sur une autre femme, et ainsi de suite. Il faut le suivre jusqu'à ce que le délit soit établi. Là, on va essayer de se rapprocher de lui à la prochaine station", indique le policier en civil.
Un récidiviste. La filature commence. L'homme marche dans les couloirs, sort dans la rue, puis s'engouffre à nouveau dans le métro. "On l'a repéré, c'est quelqu'un qu'on connaît !", annonce un brigadier. "Il erre sur certaines lignes de métro, comme la 4, la 5, la 13 aussi, et même les RER", précise-t-il. L'homme a déjà été arrêté à plusieurs reprises. Mais cette fois, il est parvenu à disparaître au détour d'un couloir. Les policiers continuent leur ronde… En moyenne, ils réalisent une interpellation par jour liée à une agression sexuelle.
Encore trop peu de dépôts de plaintes. Selon les chiffres de l'Observatoire national de la délinquance, qui publie mercredi une étude sur les atteintes sexuelles dans les transports en commun, 267.000 personnes déclarent en avoir été victimes ces deux dernières années, dont 85% de femmes. Le phénomène touche principalement l'Île-de-France : à elles seules, les Franciliennes représentent 60% des femmes victimes en métropole. Dans la plupart des cas, elles ne portent plainte. Leurs dossiers ne représentent qu'1% des affaires de délinquance dans les transports. Pour Amandine Matricon-Charlot, cheffe de la Sûreté régionale des transports d'Île-de-France, ce chiffre est bien en-dessous de la réalité. "Certaines femmes, sous le poids d'une certaine honte, ne vont pas porter plainte. Elles ont aussi le sentiment que ça ne servira à rien. Les résultats démontrent qu'au contraire, le fait que les transports en commun soient protégés par de la vidéosurveillance nous permet de belles réussites dans les enquêtes policières en matière d'agressions sexuelles", assure-t-elle.
Une réussite soutenue par la création il y a deux ans d'un groupe d'enquêteurs spécialisés dans ce type de délit, chargés de prouver les agressions. Une fois devant la justice, les frotteurs risquent une peine allant jusqu'à cinq ans de prison.