Invitée de l'émission "On fait le tour de la question" sur Europe 1, Gabrielle Deydier, auteure du livre "On ne naît pas grosse", s'est livrée sur son parcours, marqué par les discriminations sur son poids.
Pour quelles raisons la société n’accepte-t-elle pas les gros ? Comment vit-on ces discriminations au quotidien ? Gabrielle Deydier, journaliste et auteure du livre-enquête "On ne naît pas grosse", qui a inspiré le téléfilm "Moi grosse", diffusé mercredi sur France 2, était sur Europe 1. Dans "On fait le tour de la question", elle y a évoqué la grossophobie, cette "hostilité envers les personnes grosses ou obèses". Soucis avec le personnel éducatif, discrimination à l'embauche, société de la culture du régime, Gabrielle Deydier, qui a subi au départ une erreur de diagnostic et pris 60 kilos en huit mois, était au micro de Wendy Bouchard, ce lundi.
"Je n'ai pas subi de harcèlement à l'école ou au collège, mais plutôt au lycée. La malveillance venait d'ailleurs plutôt des professeurs et du personnel que de mes camarades. Elle se traduisait par exemple par le fait que l'infirmière me convoquait pour me demander si je me nettoyais correctement les bourrelets, parce que je pouvais avoir des mycoses et sentir mauvais, ou par le fait que des profs me parlaient mal parce que j'étais grosse. C'est ce qui fait que, en partie, j'ai été déscolarisée. Mais je n'ai pas été harcelée par mes camarades, j'ai même toujours été déléguée de classe du CM1 à la troisième année de fac, et même présidente d'association à la fac.
La grossophobie, je l'ai vraiment expérimentée à partir du moment où il fallait chercher des stages et du travail. Quand j'étais en master, c'était compliqué. Mes camarades envoyaient dix CV, ils avaient un stage, pendant que moi j'en envoyais 150, je n'en avais pas. J'étais dans le déni de la discrimination, parce que j'ai toujours cru en la méritocratie. Je viens d'un quartier pauvre où il fallait m'élever par l'école. J'étais une très bonne élève, j'étais très volontaire, donc j'étais dans ce déni qui est quelque chose de systémique. Il m'a fallu un moment pour l'encaisser, et quand je l'ai encaissé, ça a été compliqué. Il y a un moment où tous vos camarades de promotion ont des jobs et que vous, vous êtes encore pionne au collège, à 35 ans, alors que vous avez fait des études à Sciences Po…
Les rares entretiens d'embauche que j'ai eus pour des jobs que j'estime correspondre au niveau d'études que j'avais, c'était toujours avec un CV sans photo. Une fois, on était trois à passer un entretien d'embauche. Le recruteur sert la main des deux autres, et moi, il me tape sur l'épaule en me disant "allez chercher la troisième personne". En fait, il n'avait même pas assimilé le fait que je puisse être la candidate au job qu'il proposait. Et ces actes sont prouvés par des chiffres. L'Organisation internationale du travail dit qu'une femme obèse a huit fois moins de chances d'être embauchée qu'une femme qui ne l'est pas, et un homme obèse a trois fois moins de chances d'être embauché qu'un homme qui ne l'est pas.
Les gens n'ont pas de filtre avec les gros. Quand vous êtes gros, vous avez intériorisé certaines violences, et notamment celle du rejet. Quand toute votre vie, on vous explique que vous êtes responsable de votre état… Combien de fois on m'a dit "écoute Gaby, tu n'as qu'à faire un régime et on arrêtera de t'emmerder". Quand vous allez chez un médecin, et que vous attendez de la bienveillance, parce que vous n'avez de la bienveillance nulle part, et qu'on vous renvoie à votre culpabilité qui n'existe pas, vous fabriquez des gens qui sortent du système médical, ce qui a été mon cas, avec une erreur de diagnostic au départ. J'ai dû voir sept endocrinologues pour avoir un simple diagnostic. Je voyais à chaque fois des médecins qui me prescrivaient des diètes intenables, avec 800 calories par jour, soit trois fois moins que la dose normale.
Quand vous dégoûtez même le médecin, vous restez chez vous, et vous bouffez vos chips, parce qu'il n'y a plus que ça qui vous calme. Quand j'ai fait des crises d'hyperphagie, ce n'était jamais pour le plaisir gustatif de quoi que ce soit, c'était pour me faire éclater l'estomac, pour saigner. Je me faisais du mal, tous les jours, jusqu'à tomber dans le coma.
On sait depuis les années 1970 que les régimes ne fonctionnent pas, et on est quand même dans la culture du régime. C'est quand même assez fou, 95% des régimes sont des échecs à cinq ans, ce qui veut dire qu'au mieux on reprend le poids qu'on a perdu, au pire, on en reprend encore plus ! Et puis, si on a encore moins de chance, on développe des troubles liés à l'alimentation, des troubles du comportement. On entend souvent dire que le taux d'obésité a doublé ces quinze dernières années. Mais qui a fabriqué du gros, si ce n'est toute cette industrie du régime ?"
Dans "On fait le tour de la question", une auditrice a pris la parole pour dénoncer les conséquences dramatiques de la grossophobie sur sa fille. Découvrez son témoignage.
"Ma fille avait 11 ans, elle était forte, grosse même si je n'aime pas le mot. Elle a subi un harcèlement scolaire, déclenché une phobie scolaire, continué à grossir, jusqu'à arriver à un poids qui était dangereux pour sa santé. Aucun docteur n'a mis son poids et son obésité sur le dos de son mal-être. Elle se faisait traiter de grosse par certains médecins, jusqu'à ce qu'on lui propose une chirurgie gastrique. Au bout de six mois de contrôle médicaux de divers docteurs, qui ont tous expliqué que la chirurgie gastrique était obligatoire, elle l'a fait, et après coup, a été lâchée par le chirurgien et l'équipe médicale. À 15 ans, elle a commencé à perdre du poids. C'était trop rapide, et elle est rentrée dans une anorexie puissante. Elle s'est battue, elle a perdu, elle est décédée en juin dernier, à 19 ans, d'un arrêt cardiaque. Voilà ce que la grossophobie peut faire à une jeune fille, à une famille entière".