31 blessés, 103 personnes interpellées, des commerces saccagés… Le rassemblement de "gilets jaunes", samedi dernier, sur les Champs-Elysées a donné lieu à de multiples débordements, et ce malgré une interdiction partielle d’accéder à la "plus belle avenue du monde". Pour éviter de nouveaux incidents, le ministère de l’Intérieur a annoncé jeudi que l'accès à l'avenue sera strictement encadré, avec une interdiction de circuler en voiture et un contrôle d'identité effectué pour chaque piéton qui voudra y entrer. Un peu plus tôt dans la journée, cette volonté du gouvernement de vouloir contrôler l'accès au Champs-Elysées avait reçu de vives critiques.
"C'est réservé à qui exactement ? À quelle caste ?"
"Si les Champs-Elysées sont interdits aux 'gilets jaunes', ce sera ressenti comme un acte d'humiliation supplémentaire", avait ainsi réagi Marine Le Pen, au micro d'Audrey Crespo-Mara, jeudi sur Europe 1. "C'est quoi les Champs- Elysées ? C'est réservé à qui exactement ? À quelle caste ? Qui a le droit d'aller sur les Champs-Elysées ? Les touristes seulement ?", interroge la députée du Pas-de-Calais." "Les Champs-Elysées, c'est une avenue qui est le symbole de la France or les 'gilets jaunes', c'est le peuple français. Eux ont envie de se réapproprier ce qu'ils considèrent comme leur appartenance", martèle encore la présidente du Rassemblement national.
Du côté des manifestants, également, certains ont déjà fait savoir qu’ils fouleraient coûte que coûte les pavés de la "plus belle avenue du monde". "Il y aura le rendez-vous, comme samedi dernier, aux Champs-Elysées. Le souhait de tous les "gilets jaunes" c'est de continuer chaque samedi comme ça, aux Champs-Elysées", a déclaré Eric Drouet, l’un des "gilets" reçus mardi soir par le ministre de la Transition écologique et solidaire François de Rugy.
"Ce n’est pas interdit pour moi, pourquoi ça serait interdit ? Je suis là, je suis présente parce que je suis 'gilet jaune' et on en a marre. On n’a pas à nous interdire d'aller sur les Champs-Élysées", renchérit une manifestante interrogée par France 2. Sur le Champs-de-mars, lieu où le rassemblement est autorisé, "on a l'impression d'être parqué et je trouve ça désagréable. On a déjà l'impression d'être nettement méprisé", enchaîne une autre manifestante.
"C’est un lieu hautement emblématique. C’est un peu comme Versailles"
Le Champs-de-Mars n’a pas la même valeur symbolique que les Champs-Elysées, situés près de la plupart des lieux de pouvoir (Assemblée nationale, Matignon, place Beauvau et, surtout, l’Elysée). "C’est un lieu hautement emblématique. C’est un peu comme Versailles au temps de Louis XVI", décrypte pour Europe 1 Bernard Vivier, historien spécialiste des mouvements sociaux. Qui rappelle : "Il y a un an, Mélenchon avait appelé à converger sur les Champs pour manifester contre la politique économique d’Emmanuel Macron (la manifestation n’avait finalement jamais eu lieu). En 2013, c’est la Manif pour tous qui s’y était rendue, malgré une interdiction. Et en 1968, il y avait eu une manifestation (autorisée, cette fois) de soutien au général de Gaulle. La gauche a tendance à manifester à République ou à Bastille, car cela fait davantage ‘peuple’. Mais il y a eu des mouvements très populaires sur les Champs".
Mouvements auxquels il faut ajouter, en février 1934, les manifestations des Ligues d’extrême-droite, place de la Concorde, située en bas des Champs-Elysées. "Là-encore, il s’agissait d’aller chercher un lieu de pouvoir, la chambre des députées, située non loin", complète Bernard Vivier.
"C’est considéré comme plus dangereux qu’ailleurs"
Malgré cet aspect symbolique, les autorités n’ont, toutefois, jamais été très enclines à autoriser les manifestations dans le secteur. Longue de près de deux kilomètres, coupées par de nombreuses rues, elle est difficile à sécuriser pour les forces de l’ordre. "Depuis 1934 jamais une manifestation, autre que des manifestations festives, ont été organisées sur ce site. Mes prédécesseurs, les responsables, savaient tous qu'organiser une manifestation sur ce lieu était problématique", avait d’ailleurs justifié le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, samedi dernier, après sa décision d’interdire partiellement l’accès (il oubliait, au passage, la manifestation pro-de Gaulle de 1968). Et le passé récent ne lui donne pas tort : en 2013, les partisans de la Manif pour tous avaient décidé de braver l’interdiction, et de nombreux débordements avaient été déplorés.
Mais au-delà de la complexité du secteur, ce qui inquiète les autorités, c’est surtout la proximité des lieux de pouvoir. "C’est avant tout pour cela que c’est considéré plus dangereux qu’ailleurs de manifester sur les Champs-Elysées", estime l’historien Bernard Vivier. En 2013, d’ailleurs, la préfecture avait clairement avancé cet argument pour justifier l’interdiction. Un communiqué évoquait ainsi "la proximité géographique de plusieurs institutions sensibles", le cadre "du niveau rouge renforcé du plan Vigipirate" ainsi que "des raisons impérieuses d'ordre public".
"Nous avions complémentent anticipé la journée de samedi"
Reste qu’en 2013, la Manif pour tous avait réuni entre 300.000 (police) et 1,4 million de personnes (organisateurs) sur les Champs-Elysées. Samedi dernier, les "gilets jaunes" n’étaient "que" 8.000. D’où le sentiment, chez certains, que la manifestation aurait pu mieux se passer avec davantage d’anticipation, même si elle avait été autorisée. "En mettant en place des points de filtrages aux entrées des Champs, en fermant les stations de métro, quand les contrôles sont faits en amont comme nous le demandions la semaine dernière, on peut alors fouiller les sacs en amont et interpeller les casseurs. Il est avéré qu'avec ce processus de fouilles préalables, on limite le nombre de casseurs sur les Champs-Elysées", déclarait Yves Lefebvre, secrétaire général de l'Unité SGP Police FO, mardi sur BFMTV.
Un argument balayé par le préfet Michel Delpuech, qui assure qu’il aurait été difficile de faire mieux. "(Avec 3.000 policiers mobilisés, deux fois plus que le 1er mai), nous avions complémentent anticipé la journée avec le périmètre de sécurisation des institutions mis en place dont on a constaté la nécessité et l'efficacité. Nous avons été en capacité de nous déployer pour rétablir l'ordre dès que nécessaire. Sur ces sujets-là, la modestie est toujours nécessaire. Il y a toujours des sachants et des commentateurs".
Samedi prochain, la question se posera de nouveau, que les Champs soient totalement ou partiellement fermés. À en croire la page Facebook du mouvement, 19.000 personnes ont prévu d’y participer, et 78.000 se disent intéressées.