"Aujourd'hui, on voit bien qu'on a une dérive totale. D'une manifestation qui, pour l'essentiel, était bon enfant samedi (...), il y a une radicalisation avec des revendications qui ne sont plus cohérentes." L'inquiétude était formulée par le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner sur France 2 dès mardi, quatre jours après le début de la mobilisation des "gilets jaunes". Quatre jours, aussi, avant "l'acte II" promis par différents organisateurs, qui appellent sur Facebook à un rassemblement national à Paris, samedi, toujours hors de tout cadre syndical et politique. Si le nombre de "bloqueurs" recule de jour en jour - environ 7.000 personnes mercredi -, les violences et dégradations sur certains points et les projets flous des manifestants inquiètent les autorités, confrontées à une mobilisation inédite.
Des incidents de plus en plus violents. Ces derniers jours, la baisse du nombre de manifestants ne s'est pas accompagnée d'une diminution des "dérapages". Ceux-ci semblent même revêtir un caractère de plus en plus violent à l'image du péage de Virsac, en Gironde, totalement détruit et incendié lundi soir. "Il ne faut pas mettre l'amalgame, ce ne sont pas les gilets jaunes qui ont brûlé ça", a témoigné un manifestant ayant assisté à la scène auprès de France 2. "Ils étaient plusieurs à venir casser, ils avaient des barres à mine (...) Nous, on essayait de les faire partir." Dans la nuit de lundi à mardi, "des hommes qui avaient des barres de fer et des cocktails molotov" ont aussi été évacués d'une zone commerciale à Langueux, dans les Côtes-d'Armor, selon Christophe Castaner. Sur Twitter, le collectif à l'origine de la mobilisation dans le département, "Colère du Peuple 22", a dénoncé "des casseurs qui se sont mêlés aux Gilets jaunes pour avoir l'occasion de taper sur les forces de l'ordre.
"Casseurs" ou "vrais gilets jaunes" : le nombre d'interpellés depuis le début du mouvement, qui n'opère pas de distinction, ne cesse d'augmenter. Plus de 650 personnes ont été arrêtées et 500 placées en garde à vue, selon les autorités. Les tensions sont particulièrement vives à La Réunion, où trente membres des forces de l'ordre ont été blessés, dont un grièvement, dans la seule nuit de mardi à mercredi. Depuis samedi, deux personnes ont aussi trouvé la mort en marge du mouvement - un motard après une collision avec une camionnette qui tentait d'éviter un barrage, et une manifestante renversée par une automobiliste. 552 personnes ont été blessées parmi les "civils", 95 du côté des policiers et gendarmes.
La crainte d'un noyautage des "activistes". "Il y a des gens qui sont très pacifiques dans les "gilets jaunes", mais ils sont aujourd'hui, à mon sens, emportés par ceux qui sont plus radicaux", diagnostiquait mardi le ministre de l'Intérieur. Le spectre des fameux "extrêmes" se dessinerait-il alors derrière un mouvement qui se veut apolitique ? "Je n'ai pas vraiment l'impression qu'il y ait l'extrême droite derrière la mobilisation", tempère le directeur de l'Observatoire des radicalités politiques (ORAP), interrogé par Le Monde. "En revanche, tout ce petit monde s'est mêlé aux manifestations du week-end, non seulement des militants du Rassemblement national, mais aussi les milieux groupusculaires, de l'Action française ou de Génération identitaire, en passant par des membres du Bastion social… Seulement ils n'ont pas initié la chose, ils sont juste montés dans le train."
Une note du service central du renseignement territorial (SCRT), consultée par Le Parisien, liste pourtant une série de débordements liés aux extrêmes, parmi lesquels l'incident de Longueux, mais aussi une vidéo Facebook sur laquelle le vice-président d'un groupe identitaire se filme lors d'un rassemblement de "gilets jaunes" en Mayenne et profère "des menaces contre des préfets", appelant à "la destruction de biens". "Nous constatons que les manifestants radicaux ne sont plus du tout les mêmes que ceux présents le 17", indique une source sécuritaire citée par le journal. "Il y a désormais des activistes d'ultra-gauche comme des citoyens non-militants sensibles aux thèses complotistes et de l'extrême droite, avec une caisse de résonance sur la fachosphère."
L'inconnue du rassemblement de samedi. Dans ce contexte, l'appel à se rassembler lancé pour samedi, qui pourrait relancer le mouvement, inquiète. Plus de 31.000 personnes se sont déclarées "participantes" à cet événement sur Facebook, et plus de 200.000 "intéressées". Dans les régions, les collectifs disent s'organiser pour acheminer un maximum de "gilets jaunes" en covoiturage, bus ou trains. En l'absence d'interlocuteur défini et de déclaration préalable en préfecture, les autorités peinent à anticiper l'ampleur de la manifestation, dont le secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Intérieur Laurent Nuñez a déjà annoncé qu'elle ne pourrait pas se tenir place de la Concorde pour des raisons de sécurité.