Lutte contre le harcèlement sexuel : que peut faire l'Etat ?

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Tout n’a pas été fait contre les violences sexuelles, assurent de nombreuses voix, qui demandent au gouvernement plus d’engagements concrets. 

L’exécutif a-t-il pris la mesure du phénomène ? Un mois après l’éclatement de l’affaire  Wenstein et alors que de plus en plus de langues se délient pour dénoncer le harcèlement sexuel, certaines voix jugent la réaction d’Emmanuel Macron et de son gouvernement trop faible. Dimanche dans le JDD, une centaine de personnalités ont appelé à un "plan d’urgence" contre les violences faîtes aux femmes. "Monsieur le président, nous savons votre agenda chargé. Vous n'avez pourtant pas pu passer à côté. Depuis des jours, plusieurs centaines de milliers de messages sont apparus sur les réseaux sociaux pour témoigner de l'ampleur des violences sexuelles que subissent les femmes en France", écrivent les signataires, qui demandent : "Monsieur le Président, nous sommes face à une crise grave. Êtes-vous de notre côté ?" Publié sur change.org, le texte a déjà réuni près de 100.000 soutiens.

>> Mais que réclament-ils exactement ? Comment l’exécutif, qui a déjà annoncé un plan, peut-il en faire davantage ? Eléments de réponse.

Des mesures concrètes sont réclamées

La tribune publiée dans le JDD rassemble des militantes, des journalistes, de économistes, des psychiatres ou encore des artistes. Des femmes aux profils différents, qui ont déjà été confrontées d’une manière ou d’une autre au harcèlement sexuel. Leurs demandes s’étalent sur cinq axes :

  1. Le doublement des subventions des associations qui accueillent les femmes et du nombre de places d'accueil pour les femmes victimes.
  2. L’organisation dès 2018, de manière systématique et obligatoire, d’une formation de tous les professionnelle(s) en contact avec des femmes victimes, y compris au sein de la police, de la justice et de l’Education nationale
  3. La création d’un brevet de la non-violence  au collège, sur le modèle du brevet de la sécurité routière, obligatoire dès la rentrée prochaine.
  4. L’application de la loi sur le harcèlement sexuel au travail
  5. Le lancement d’une campagne nationale de prévention aussi importante que celles sur la sécurité routière (avec notamment un passage au JT du chef de l’Etat)

L’exécutif a des propositions…  

"La plupart des choses qui sont proposées, nous sommes déjà en train de les faire", assurait Marlène Schiappa, la secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, dimanche sur LCI. Mi-octobre,  Marlène Schiappa a annoncé les grands axes d’un projet de loi contre "les violences sexuelles et sexistes" prévu pour le premier semestre 2018. Principales pistes à l’étude : la verbalisation des hommes qui insultent ou suivent les femmes dans la rue, l’allongement du délai pour porter plainte après un crime sexuel ou encore la définition d’un âge en dessous duquel on ne peut pas consentir à une relation sexuelle.

Le 15 octobre, lors de sa première interview télévisée, le chef de l'Etat a également affirmé sa volonté de créer la création d'une "police de sécurité du quotidien", dont la priorité sera la lutte contre le harcèlement, notamment dans les transports, avec des formations spécifiques pour les agents.

Des propositions jugées insuffisantes par de nombreux observateurs. "Cela ne peut pas être la seule réponse à la dynamique populaire en cours, qui démontre le caractère massif et systématique de ces violences", estime ainsi dans Le Monde la présidente de la Fondation des femmes, à l’origine de la pétition.

… Mais évite encore de nombreux sujets

Concernant ces mesures proposées mi-octobre, beaucoup y voient de la poudre aux yeux. Pour la verbalisation du harcèlement de rue, par exemple, certains spécialistes dénoncent la difficulté d’apporter des preuves, sauf à mettre un policier derrière chaque femme. "L'arsenal juridique existant est suffisant", assure ainsi Virginie Duval, présidente de l'Union syndicale des magistrats. Interrogée par l'AFP, elle estime que "la notion de harcèlement sexuel est déjà clairement définie". La principale difficulté réside dans le fait que les victimes ne portent pas plainte. "Si la justice n'est pas saisie, il n'y aura jamais de condamnation", explique-t-elle. D’où la nécessité, selon certains, de mettre d’avantage (et massivement) l’accent sur la prévention et la communication. Interrogée par Le Monde, Ernestine Ronai, du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, rappelle que le budget consacré aux droits des femmes est "ridiculement petit, avec 0,007 % du budget de l’Etat". "Nous avons pourtant besoin d’une vraie campagne d’information en direction de l’ensemble de la société", estime-t-elle, insistant également sur la nécessité de sensibiliser les éventuels "témoins" de scène de harcèlement.

Concernant l’école : aucune mesure d’ampleur de lutte contre le sexisme n’été proposée depuis l’abandon des ABCD de l’égalité en 2014. "Pour nous, il faut s’attaquer au problème dès l’école, avec des conférences, des interventions régulières. Aujourd’hui, la lutte contre le sexisme est encore trop taboue au sein de l’Education nationale", s’indignait récemment le collectif "Journée de la jupe", créé pour sensibiliser à cette question. Aujourd’hui, les dispositifs de sensibilisation à ces questions à l’école sont, tous, facultatifs.

" Emmanuel Macron était le candidat le plus engagé sur ces questions, au point de faire de l'égalité femme homme la grande cause de son quinquennat "

Quant au harcèlement au travail, s’il est clairement puni par la loi, il reste encore largement tabou et peu abordé par le gouvernement. "Rares sont les victimes qui osent parler car elles ont tout à perdre si elles n'arrivent pas à prouver les faits, ce qui est extrêmement difficile", témoigne à l’AFP un inspecteur du travail du Val-de-Marne, sous couvert d'anonymat. Face à cela, les inspecteurs du travail "manquent de formation" sur cette question, ajoute Sophie Poulet, inspectrice du travail à Paris et membre du conseil national de SUD Travail. Et de dénoncer : ce n'est "pas la priorité du ministère du Travail" dans "un contexte de réduction des effectifs de contrôle de 10% en 2014 et de 15% prévu en 2018". Magistrats, médecins, policiers, enseignants… La question de la formation est en effet aux centres de toutes les revendications, en attente de réponse  de la part de l’exécutif.

Une prise de parole très attendue

Le (quasi) silence d’Emmanuel Macron face à ces revendications ne devrait pas durer longtemps. "Il y aura une prise de parole", promet l’entourage du chef de l’Etat, interrogé mardi par Europe 1. "Emmanuel Macron était le candidat le plus engagé sur ces questions, au point de faire de l'égalité femme homme la grande cause de son quinquennat", nous rappelle-t-on encore. Reste donc au président de la République à trouver le bon moment pour s'exprimer. Il recevait lundi l'écrivaine féministe Leïla Slimani (prix Goncourt en 2016), une prise de parole a été envisagée à cette occasion avant d'être finalement écartée. Autre échéance dans le calendrier : le 25 novembre, journée contre les violences faites aux femmes. Une date qui n'a pas échappé à l'Elysée, mais à ce stade, rien n'est encore fixé.

Harcèlement chez les politiques : la Grande-Bretagne opère un tournant historique

Pointé du doigt également par les associations : le manque de mesures annoncées pour faire face au harcèlement sexuel en politique. En Grande-Bretagne, pays frappé par de nombreux scandales ces derniers jours, le gouvernement et les partis politiques de droite comme de gauche ont annoncé cette semaine une réforme de l’aide aux victimes au sein du Parlement. Une procédure spéciale pour les plaintes du personnel parlementaire va ainsi entrer en vigueur. Un bureau spécial sera mis sur pied au Parlement et une ligne téléphonique déjà existante va être renforcée. En outre, les élus vont bénéficier de formations spécifiques, et des spécialistes (psys, médecins) seront mis à disposition de celles et ceux qui ont besoin de conseils.

En France, depuis 2013, les parlementaires et leurs collaborateurs peuvent s’adresser à une personne "référente" sur ces questions-là. Seule, elle dispose toutefois de peu de moyens. Depuis l’élection de François de Rugy au perchoir, des affiches rappelant la loi et les coordonnées de cette référente sont par ailleurs placardées un peu partout à l’Assemblée.