Homayra est la fondatrice d’Innocence en Danger, une association de protection des enfants contre les violences sexuelles et les maltraitances. Son combat contre la pédocriminalité est né après qu’une de ses amies s’est suicidée parce qu’elle avait été violée quand elle était adolescente. Au micro d’Olivier Delacroix, sur "La Libre antenne" d’Europe 1, Homayra raconte la genèse et le quotidien de son combat contre la pédocriminalité qu’elle mène depuis vingt ans. Un combat qu’elle a commencé en France et qu’elle a étendu en Europe, puis au monde.
" J'ai été sensibilisée au sujet de la pédocriminalité il y a très longtemps. Je suis d'origine iranienne. Lorsqu’il y a eu la révolution en Iran, mes parents pensaient que nous serions plus en sécurité à l'étranger. Nous sommes arrivées en France, avec ma sœur et d'autres amies. Nous étions de jeunes adolescentes. Nous avions eu une enfance très protégée. On était très innocentes, on ne savait pas ce qu’un homme et une femme pouvaient faire ensemble.
Lors d'un déjeuner au restaurant, on était six ou sept filles, on a été approchées par une femme très élégante, plus âgée que nous. Elle nous a proposé de dîner avec un homme qu’elle nous a montré du doigt, nous disant que si on acceptait, il nous donnerait tant. Ça ne m'intéressait pas, je ne voulais pas manger avec quelqu'un que je connaissais pas. Cette jeune femme a donné son numéro de téléphone à tout le monde avant de partir. J’ai oublié cette histoire.
" Je pensais qu'il n'y avait que des filles qui étaient violées "
Cinq ou six ans après, une de mes amies iraniennes, qui venait de se marier, s’est donné la mort. Elle m’avait laissé une lettre, parce qu'on était très proches, dans laquelle elle m'expliquait qu’elle était allée à ces dîners pour pouvoir continuer à payer son loyer et ses études. C'était un piège. Elle a été violée. Elle me disait que si elle avait pu parler à quelqu'un en qui elle avait confiance, elle n’aurait peut-être pas fait ça. Mais elle se trouvait seule, souillée et même si son mari était un homme merveilleux, elle ne croyait pas qu’elle pouvait aimer ou être aimée.
Je me suis reproché de n’avoir rien vu du désarroi de mon amie pendant toutes ces années. J'ai pensé que si un jour je travaillais, ça serait pour être cette personne qui prend la main de quelqu’un comme mon amie, qui devient une écoute, une épaule, une main tendue. À l’époque, je pensais qu'il n'y avait que des filles qui étaient violées. J'étais à mille lieues d’imaginer la gravité et l'ampleur de ce phénomène.
" Je voulais un engagement réel, pas sur le papier ou en paroles "
J'ai commencé mon activité au sein de l’Unesco, que j'ai quittée au bout d'un an parce que l'Unesco ne pouvait pas être sur le terrain. Moi, j'aime agir. Je voulais rencontrer les victimes et leurs parents. Je voulais un engagement réel, pas sur le papier ou en paroles. J’ai donc fondé Innocence en Danger, une association Loi 1901, d'abord en France, puis dans quelques autres pays européens et même aux États-Unis.
C’est un sujet très difficile, mais c’est un sujet magnifique : qu’y a-t-il de plus beau au monde que de sauver une vie, sauver un enfant, permettre à un enfant d'avoir une seconde enfance, une vraie enfance, parce que celle qu'il a eue a été piétinée. C'est devenu une passion. Une passion de tous les jours depuis plus de vingt ans. Je fais ce travail sans le moindre effort, j'adore ce que je fais. Nous avons en France une équipe magnifique d’avocats, de bénévoles et de thérapeutes.
" Internet a aboli la distance qui sépare un prédateur d'une victime "
L’arrivée d'Internet dans les foyers de tous les pays d'Europe, il y a vingt ans, n'a rien arrangé. Internet a aboli la distance qui sépare un prédateur d'une victime potentielle. Les réseaux sociaux ne font pas assez pour protéger les enfants. Il faut que l’on surveille nos enfants. L’essor de la cyber-pédocriminalité est très important en France. La France est le troisième pays au monde hébergeur de sites pédopornographiques puisque les lois ne sont pas très sévères. Les images de viol qui circulent sur Internet n’ont, hélas, rien de virtuel. Derrière chaque image, il y a un enfant qui a été violé.
Nous avons écrit un manifeste avec Karl Zéro et Serge Garde. Ce sont des journalistes avec qui je travaille depuis le début d’Innocence en Danger en France. Le manifeste s’appelle "1 sur 5". 1 sur 5, c’est le nombre d'enfants ayant subi une agression sexuelle avant l'âge de 18 ans, en Europe. Ce chiffre vient d’une étude menée par le Conseil de l'Europe. C’est un chiffre effrayant, effarant et choquant, mais il faut l'accepter. Il faut que l'on arrive à parler de ce phénomène, comme on parle d'autres sujets très désagréables.
Ces actes ont des conséquences très néfastes, pas seulement pour les victimes et leur entourage, mais pour la société dans son ensemble. Les violences sexuelles faites aux enfants ont un coût pour la société qui est supporté par nous tous. En tant que parents, grands-parents, citoyens, êtres humains, mais aussi en tant que l’enfant qu’on a été, il faut qu’on ait le courage de regarder ce sujet en face, parce qu’on n’a pas le choix. Les victimes portent ces agressions sexuelles sur elles et en elles, toute une vie.
Quand on donne le chiffre de 1 sur 5 pour parler des victimes sur le sol européen, il y a un autre chiffre effrayant qui se révèle, celui du nombre d’adultes qui ont violé ces enfants. Ça nous met face à une Europe qui a besoin d'être soignée. Il y a des pays où les choses vont particulièrement mal. Malheureusement, la France en fait partie parce qu’elle ne condamne pas correctement ces personnes. Il faut que l'on se donne la main pour aller vers une société saine. Nos enfants sont notre avenir et il faut qu'on les protège mieux. "