Le tribunal de commerce de Paris a donné raison vendredi, en référé, à un restaurateur parisien qui avait assigné son assureur Axa France après son refus d'indemniser les pertes d'exploitation d'un de ses établissements, fermé dans le cadre de la crise du coronavirus. Une décision qui pourrait faire jurisprudence, mais qui doit encore être confirmée car l'assureur a fait appel.
Stéphane Manigold, à la tête du groupe Eclore, estimait que l'assureur se soustrayait à ses obligations contractuelles concernant son établissement Le Bistrot d'à côté Flaubert, situé dans le 17e arrondissement de Paris, un des quatre restaurants qu'il dirige avec La Maison Rostang, Substance et Contraste. Le restaurateur dénonçait "l'explosive allégation d'Axa France qui soutient" que l'arrêté gouvernemental du 14 mars annonçant que les établissements comme les restaurants ne pouvaient plus accueillir du public, "ne constitue pas une décision de 'fermeture administrative'".
"Un grand moment pour les petits et grands patrons qui souffrent"
Vendredi, lors d'une décision en référé, le tribunal a tranché en faveur de Stéphane Manigold, qui réclamait 70.000 euros. "C'est un bol d'air incroyable. Depuis deux mois et demi, on ne rentre plus un euro de chiffre d'affaires. Alors qu'on a toujours des dépenses en face", réagit le restaurateur au micro d'Europe 1. "Le magistrat du tribunal de commerce vient de redonner de l’espoir à tous les petits patrons et les chefs d’entreprise qui avaient un genou à terre."
Axa va faire appel
Axa affirme de son côté que ses contrats ne prévoient pas de prendre en charge une "perte d'exploitation lors de décisions par arrêtés ministériels consistant à interdire de façon généralisée l'accès au public à certains établissements pour lutter contre la propagation d'un virus". Auprès d'Europe 1, l'assureur affirme "prendre acte de la décision exécutoire du tribunal" mais annonce son intention de faire appel. "Cette décision n'est pas définitive. S'il faut indemniser Monsieur Manigold pour les préjudices subis à cause du confinement, soit. Mais le fond du dossier n'a pas été tranché", estime Éric Lemaire, porte-parole d'Axa France.
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Tout est question d'interprétation dans ce dossier. Selon Axa, le juge des référés a uniquement donné raison au restaurateur sur la forme : oui, les préjudices subis doivent être indemnisés. Mais, selon l'assureur, le tribunal n’a pas tranché le vrai sujet, à savoir : l’interdiction de recevoir du public peut-elle être assimilée à une fermeture administrative ? "Nous devons aller devant un juge du fond qui dira si, oui ou non, la clause de perte d’exploitation de monsieur Manigold s’applique", réclame Éric Lemaire.
Quelle jurisprudence ?
Reste à savoir quelle sera la portée de la décision du tribunal de commerce. Selon Stéphane Manigold, une brèche a été ouverte, dans laquelle les restaurateurs pourraient s’engouffrer. Faux, répond Axa. "Monsieur Manigold dispose d'un contrat très spécifique. Chez Axa, moins de 1% des dossiers de perte d'exploitation correspondent à un contrat comme le sien. Mais pour les 99% restants, la pandémie est clairement exclue du contrat", avance Éric Lemaire. Par conséquent, même si la décision de vendredi devait être confortée en appel, l'assureur ne craint pas une ruée de restaurateurs réclamant une indemnisation.
"C'est un mensonge", affirme de son côté Stéphane Manigold. "Le magistrat a, à l'évidence, considéré que notre perte d'exploitation ne nécessitait aucune interprétation", martèle-t-il. "Axa a commencé par dire que tous les contrats excluaient la pandémie. Ils peuvent dire ce qu'ils veulent mais ils ne sont plus crédibles. Je sais que des milliers de contrats comme le mien existent et derrière il y a des dizaines de milliers de salariés."
L'inquiétude des restaurants
Un bras de fer oppose depuis des semaines hôteliers-restaurateurs et assureurs, ces derniers opposant majoritairement une fin de non-recevoir aux demandes de couverture des pertes d'exploitation. Restaurants et cafetiers sauront fin mai s'ils peuvent rouvrir à compter du 2 juin dans les départements classés en "vert". Quelque 55.000 établissements du secteur, cafés, hôtels, restaurants, discothèques (sur un total de 94.000 entreprises touristiques) ont déjà obtenu un prêt garanti par l'État.
Vendredi, une soixantaine de chefs, dont plusieurs étoilés comme Gérald Passédat, Marc Veyrat, Michel Sarran et Gilles Goujon, mettent en avant plusieurs revendications, dont une demandant que les assurances prennent "impérativement en charge la perte d'exploitation pour tous à hauteur de 15 à 25%", et lancent "un fonds de garantie 'catastrophe sanitaire'", dans un courrier transmis à l'AFP.