Un vote favorable au retrait du contrat d'association qui lie le lycée musulman Averroès de Lille et l'État a eu lieu ce lundi. L'établissement se trouve au cœur d'une tempête après la parution d'un rapport de commission consultative académique pointant plusieurs manquements. Il devrait donc perdre ses subventions.
C'est une première étape pour le lycée musulman Averroès de Lille et ses 500 élèves, qui devrait le conduire à perdre son contrat d'association avec l'État. Une commission consultative académique a émis lundi un vote favorable au retrait de ce contrat, qui signifierait donc une perte des subventions. Le préfet du Nord doit entériner cette décision dans les prochains jours, avec dans son viseur, les conclusions d'un rapport de la commission consultative académique, révélées par Europe 1 , faisant état de plusieurs manquements éducatifs .
Averroès était devenu en 2008 le premier lycée musulman sous contrat
L'établissement de 400 élèves, ouvert en 2003 avec le soutien de l'ex-UOIF (devenu Musulmans de France), est pointé du doigt pour un don qatari en 2014, un ouvrage religieux litigieux dans la bibliographie d'un enseignement spirituel et des irrégularités de gestion. La "commission de concertation pour l'enseignement privé", qui s'est réunie trois heures durant lundi, s'est prononcée en faveur de la résiliation du contrat avec l'État, ont indiqué deux sources proches du dossier.
Sur ses 25 membres, dont neuf désignées par l'État, les autres étant des élus locaux et des représentants de l'enseignement privé, 16 ont voté pour et 9 se sont abstenus, a précisé une des deux sources. Fondé il y a 20 ans dans la foulée de l'interdiction du voile dans les lieux scolaires, Averroès est devenu en 2008 le premier lycée musulman à passer sous contrat, et se classe régulièrement depuis parmi les meilleurs de la région. Contactés par l'AFP, ni le ministère de l'Éducation ni celui de l'Intérieur n'ont donné suite.
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Un don qatari de 950.000 euros en 2014 dans le viseur
Dénonçant un "simulacre total", l'avocat du lycée, Me Joseph Breham, a indiqué que "si jamais il y avait une décision de résiliation (...) bien évidemment nous saisirions la justice" administrative. Le président de la Région, Xavier Bertrand, a lui salué une "décision très importante", estimant que le "contenu pédagogique (de l'établissement, NDLR) ne respecte pas les valeurs républicaines". Depuis 2019, les Hauts-de-France refusent de verser la subvention prévue dans le cadre du contrat, reprochant notamment à Averroès un don qatari de 950.000 euros en 2014.
"Rien" ne permet de penser "que les pratiques enseignantes (...) ne respectent pas les valeurs de la République", avait jugé l'inspection générale de l'Education nationale dans un rapport de 2020. La commission académique s'est penchée à la fois sur le financement et "le volet pédagogique de l'établissement", et notamment "le contenu du cours d'éthique musulmane," explique une source proche du dossier. Le rapport de saisine de la commission, dont l'AFP a obtenu copie, pointe notamment la mention, dans la bibliographie de cet enseignement, d'un recueil de textes religieux comprenant des commentaires prônant la peine de mort pour apostasie ou la ségrégation des sexes.
Ce rapport reprend des extraits de presse mettant en cause des enseignants, et cite une inspection du collège, hors contrat, durant laquelle un inspecteur a constaté que "les formulations employées à l'oral et reprises dans les traces écrites des élèves, l'emploi du conditionnel, mènent à une relativité des faits scientifiques en sciences de la vie et de la terre".
"Le lycée promeut un islam tolérant"
Le préfet déplore également "un système de financement illicite", citant une "enquête ouverte par le parquet de Lille", selon laquelle des associations seraient soupçonnées d'avoir concédé des prêts au groupe scolaire sans en demander le remboursement. Contacté, le parquet n'a pas pu confirmer, ni infirmer ces faits. En filigrane est pointé du doigt le lien historique d'Averroès avec l'UOIF, organisation issue du mouvement égyptien des Frères musulmans.
Selon la préfecture, ces "faux prêts" émanent d'associations membres du collectif "Mosquées du Nord", qu'elle qualifie de "frériste", et dont certaines auraient bénéficié de fonds étrangers. "Personne à part l'autorité préfectorale ne dit qu'il y a un lien avec les Frères musulmans", a rétorqué Me Breham, soulignant que l'association gestionnaire du lycée comprend "des personnes de tous les horizons, tous les points de vue". Le "lycée promeut un islam contextualisé, tolérant (...), respectueux des lois de la République", a souligné lundi Mohamed Damak, président de l'association Averroès.
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L'objectif de ce lycée est de créer une "élite musulmane", explique Bernard Godard, ancien haut-fonctionnaire et spécialiste de l'islam. "Ils ont suivi le modèle des établissements privés catholiques français, qui visent l'excellence", et "séparent l'enseignement du religieux". Averroès est l'un des deux seuls lycées musulmans sous contrat en France, avec le lycée Al-Kindi près de Lyon (174 élèves). Le groupe scolaire compte plus de 800 élèves, dont 400 sous contrat.
En France, 1.700 élèves étaient scolarisés dans des écoles, des collèges et ces deux lycées musulmans sous contrat à la rentrée 2022, selon l'Education nationale.