Comment mesurer le "harcèlement sexiste" à l'échelle de la société française toute entière ? Des commentaires sur le physique à la tape sur les fesses en passant par les agressions, le terme regroupe autant les violences verbales que physiques, souvent à l'encontre des femmes. S'il n'y a pas de données récentes et précises, plusieurs études permettent de nous faire une idée de ce type de comportements… et de l'état d'esprit de leurs auteurs.
Combien de femmes harcelées ? Jeudi, un sondage Elabe pour BFMTV, portant sur 950 personnes, indiquait que 28% des femmes avaient déjà été victimes de "harcèlement" à caractère sexuel, contre 18% pour l'ensemble des Français. Difficile, toutefois, de mesurer précisément le phénomène car la définition de harcèlement reste floue. Elabe le définit ainsi : "le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, ou créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante"
Mais la définition a son importance. Des consultations menées sur 600 personnes en mars 2015 par le Haut conseil à l'égalité livrait un constat bien plus accablant : 100% des femmes qui prennent les transports en commun auraient déjà été victimes de "harcèlement sexiste". Par ce terme, le Haut conseil, qui reconnaît qu'il n'existe aucune statistique fiable et récente sur le sujet, regroupait autant les sifflements, que les commentaires à caractères sexuels, les remarques sur le physique ou les agressions sexuelles.
L'Institut national d'étude démocratique (l'Ined) travaille en ce moment même sur la question, dans le cadre d'une vaste enquête sur les "violences et rapports de genre". Selon les derniers résultats précis de l'institut (portant sur près de 7.000 personnes), qui datent de 2001, 13% des femmes subissent des insultes chaque année, 5,2% des femmes affirment avoir déjà été suivies avec insistance et 2,9% auraient été victimes d'exhibitionnistes. Des chiffres plus récents devraient être publiés prochainement, sur les violences envers les femmes mais aussi les hommes.
Enfin, une enquête de l'Insee, publiée, elle, en 2015, relevait que 0,4% des femmes ont déjà été victimes d'agression sexuelle (contre 0,1% des hommes), dont "au moins un viol" pour 0,3% des femmes.
Ce que révèlent les insultes. Des analyses plus précises, en revanche, existent sur le contenu des violences verbales subies par les femmes. En novembre dernier, l'Ined publiait une analyse des insultes les plus répandues envers le gente féminine. Résultats : plus de 1.600 insultes différentes sont utilisées à l'encontre des femmes. "Les termes les plus utilisés sont 'salope' (24% des insultes), 'connasse' (19%), 'pute' (13%), 'conne' (8%) et 'vieille' (6%)'", explique l'Ined - qui n'évoque pas les hommes à ce stade des travaux, inscrits dans l'enquête globale évoquée plus haut.
Que nous apprennent ces chiffres sur l'état d'esprit des auteurs des insultes ? "Ces termes servent à agresser les femmes en portant atteinte à leur réputation liée à la sexualité, ce qui témoigne du caractère encore rétrograde des normes en vigueur dans les interactions sociales en France lorsqu’il s’agit de la sexualité des femmes", décrypte Amandine Lebugle, chercheuse à l’Ined, citée dans l'étude.
Chez les mineurs, la pression de la "réputation sexuelle". Plus des trois-quarts des auteurs d’insultes sont des hommes. "Ce qui témoigne du fait que les relations entre les sexes restent structurées par des agressions d’hommes envers les femmes dans l’espace public", poursuit la chercheuse. Mais ce chiffre ne doit pas masquer un autre phénomène : "de manière surprenante, lorsqu’on considère les femmes les plus jeunes (les mineures), elles sont plus souvent utilisatrices du mot 'salope' que les jeunes garçons. Ce qui témoigne de l’importance accordée à la réputation liée à la sexualité à cet âge, et de la pression des normes qui pèsent sur elles et entre elles".
L'étude conclut en insistant sur les risques d'isolement qui pèsent sur les victimes de harcèlement et/ou d'insultes : cela amène "les usagères des espaces publics à adopter des stratégies d’évitements, pas forcément en s’abstenant de sortir, mais en changeant d’itinéraire, en veillant à leur tenue vestimentaire, etc. sans qu’il soit réellement possible d’échapper aux insultes et menaces".