Hélène Fréger, qui est à la tête de la ferme de Scay dans le Cher, raconte pourquoi elle a progressivement choisi de diminuer son cheptel de vaches laitières, et la productivité de chaque animal. Ce choix lui a permis, assure-t-elle, de réduire la pression qui pèse sur les épaules des agriculteurs.
L’agriculture de demain doit-elle nécessairement passer par une désintensification de nos productions ? Cette question ne concerne pas seulement l’impact environnemental de l’agriculture et la qualité des aliments qu’elle met à notre disposition, elle recoupe aussi des enjeux psychosociaux, à l’heure où les paysans français multiplient les cadences infernales pour des rémunérations qui, souvent, ne leur permettent pas de vivre correctement. Hélène Fréger est à la tête de la ferme de Scay, à Venesmes dans le département du Cher, une ferme de polyculture où elle élève des vaches laitières, des veaux de lait mais fait aussi de la pisciculture. Un programme qui semble pour le moins ambitieux, pourtant cette éleveuse a sensiblement réduit sa production ces dernières années.
Un choix qui lui permet d’envisager son métier plus "sereinement", comme elle en a témoigné dimanche, au micro d’Europe Soir. "Mon modèle a évolué depuis 25 ans. Je me suis installée lorsque j'avais 23 ans. À l'époque, on avait un troupeau de 70 vaches laitières pour une moyenne de 9.000 litres de lait par vache et par an. Aujourd'hui, j'ai 60 vaches et je ne suis plus qu'à 8.000 litres de lait par tête", explique Hélène Fréger.
"Cinq à dix ans pour faire évoluer un système"
La nécessité d’une diminution des cadences ne résulte pas d’un choix brusquement arrêté du jour au lendemain, elle s’est peu à peu imposée comme une évidence pour notre éleveuse, confrontée à différentes épreuves au cours de sa carrière. "Il y a eu des problèmes sanitaires dans mon troupeau. J'ai dû prendre de nouvelles orientations et, finalement, j'ai choisi de désintensifier", poursuit Hélène Fréger, qui estime toutefois que cette décision ne peut pas être généralisée à l’ensemble de la profession.
"Ça correspond à mon schéma. Ça correspond à mes choix qui ne sont pas reproductibles chez chacun. On a, malgré tout, des obligations financières. Aujourd'hui, quand on travaille, on travaille aussi pour rembourser des emprunts et il faut que tout ça corresponde", nuance-t-elle. "L'agriculture, c'est un temps long. L'élevage, c'est un temps long, donc il faut pouvoir adapter, orienter et réfléchir. Ça peut demander cinq à dix ans pour faire évoluer un système", pointe-t-elle.
Une mutation longue, mais qu’Hélène Fréger ne regrette pas. "Aujourd'hui, j'ai trouvé un bon équilibre avec des animaux moins productifs, parce que je sais que je vais avoir moins de soucis. J'ai l'esprit serein", confie-t-elle.
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Une période charnière pour l'agriculture française ?
"Réduire un peu la productivité, c’est potentiellement rallonger la durée de vie des vaches, mais aussi avoir moins de problèmes sanitaires", abonde auprès d’Europe 1 Léopoldine Charbonneaux, directrice du CIWF France, une ONG qui met en avant des pratiques d’élevage respectueuses du bien-être animal. "On y voit vraiment un intérêt, que ce soit pour les gens qui en vivent, mais aussi pour l'environnement, pour restaurer les sols. Il y a vraiment un équilibre, pour la diversité des races aussi. L'élevage intensif, c'est le contraire. C'est très peu de diversité génétique, seulement certaines souches poussées à l'extrême", détaille-t-elle.
Léopoldine Charbonneaux estime que le système agricole français, après pratiquement un demi-siècle de culture et d’élevage intensifs, pilotés par un souci constant d’augmenter la productivité, est arrivé à un moment critique. "Dans les années 1960-1970, il y a un choix d'intensifier qui a été fait, et maintenant, il faut faire le choix de désintensifier", martèle-t-elle. Un choix qui doit être pleinement assumé par les politiques publiques, car "la désintensification doit être accompagnée", insiste-t-elle, pour permettre aux agriculteurs de sauter ce pas sans risque.