"Je ne le touche pas" : au tribunal, Booba et Kaaris se renvoient la responsabilité de la rixe d'Orly

Booba se tient au premier plan, en chemise à carreaux. Kaaris est en cinquième position, en chemise blanche. © AFP
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Après une longue après-midi au tribunal correctionnel de Créteil, jeudi, le procureur a requis une peine d'un an d'emprisonnement avec sursis contre Booba et Kaaris, jugés pour violences aggravées et vols en réunion.

"Ça fait cinq ans qu'elle dure, cette histoire." Chemise blanche, pantalon noir, bras croisés sur le torse, Kaaris ne cille pas. Autour de lui, deux "amis d'enfance" et un cousin, devenus co-prévenus, se tiennent en triangle, tous en noir, comme des gardes du corps. Au tribunal correctionnel de Créteil, tous comparaissent pour violences aggravées et vols en réunion, des délits passibles de dix ans d'emprisonnement. Pourquoi ? "Je ne sais pas...", hésite le rappeur. "On ne m'a jamais vu dans une situation pareille. J'ai 38 ans et j'ai toujours évité ça. Mais il m'a dit : 'lève-toi s*****', je me suis levé."

Un an d'emprisonnement avec sursis requis

Le parquet a requis jeudi soir un an de prison avec sursis contre les deux rappeurs, et réclamé des peines allant jusqu'à huit mois d'emprisonnement ferme pour les membres de leurs clans respectifs. Les deux rivaux sont "tous deux responsables" de la rixe du 1er août, lors de laquelle ils ont "perdu toute lucidité", a estimé le procureur. Ce sont eux qui ont échangé les premiers coups et ils ont "entraîné leurs gardes rapprochées" dans la bagarre, a-t-il dénoncé. Les rappeurs ennemis seront fixés sur leur sort le 9 octobre.

"Je suis facilement identifiable". "Il", c'est le chef de l'autre "clan". La présidente l'appelle systématiquement par son identité civile : Elie Yaffa, 41 ans. Pour plus de commodité, les avocats choisissent eux parfois son nom de scène : Booba. Carrure impressionnante, crâne rasé, le "Duc de Boulogne" porte une chemise à carreaux et lâche :"je fais 1,92m, je suis facilement identifiable". Comme son rival, il est entouré d'acolytes - au nombre de sept, eux - poursuivis pour les mêmes faits. Comme son rival, on ne voit que lui au milieu de ses hommes, tous vêtus de couleurs sombres. Et comme son rival, il affirme n'avoir fait que se défendre. Le 1er août, à l'aéroport d'Orly, Booba ne se souvient pas avoir insulté Kaaris.

Que s'est-il passé, alors ? Ce jour-là, les deux hommes et leurs clans respectifs doivent prendre le même avion pour Barcelone : ils sont attendus chacun sur scène, dans deux clubs séparés de seulement quelques mètres. "On a déjà fait des shows, on va dire concomitants, dans des boîtes en Belgique", explique Kaaris. "D'habitude, il ne se passe rien. Mais là, c'était dans un espace confiné." En l'occurrence, le hall 1 de l'aéroport d'Orly, près de Paris. Lorsqu'ils s'y croisent pour la première fois, au moment de déposer leurs bagages, les deux hommes envoient chacun un proche en émissaire, pour tenter d'éviter que la situation ne dégénère. En vain.

"Je ne vais pas à l'attaque". Kaaris passe les contrôles de sécurité en premier et s'assoit avec ses trois amis. Booba les franchit à son tour et se dirige vers son ancien protégé – ils ont collaboré en 2012 sur le titre Kalash avant de se brouiller -, qui se lève brusquement. S'en suit une rixe de quelques secondes, filmée par les smartphones de voyageurs éberlués. À entendre le tribunal décortiquer chaque coup, on croirait le bilan de la bagarre particulièrement lourd. Il n'en est rien : aucun des protagonistes ne s'est vu prescrire plus de huit jours d'incapacité totale de travail (ITT). Mais les vidéos virales et la réputation des deux stars du rap hexagonal ont fait le reste.

 "Je ne le touche pas, mais je vois du coin de l'œil qu'ils m'entourent. Moi je veux juste le contourner, je veux prendre mon avion." 

Dans la salle où se déroulent habituellement les procès d'assises, plus grande que celle des comparutions immédiates, les journalistes se pressent par dizaines. Booba est formel : "moi, je ne vais pas à l'attaque". Il reconnaît avoir porté le premier coup, "d'intimidation". "Je ne le touche pas, mais je vois du coin de l'œil qu'ils m'entourent. Moi je veux juste le contourner, je veux prendre mon avion." En face, Kaaris ne se démonte pas : "j'essayais juste de garder une distance de sécurité. Ce n'est vraiment pas de ma faute."

"Je me suis dit que ça ne sentait pas bon". Pour démêler le vrai du faux, le tribunal allume ses écrans de télévision. Sur une première vidéo, filmée par une fan quelques minutes avant la rixe, on entend Booba lancer : "c'est la garde à vue qui m'attend". Preuve de sa volonté de s'en prendre à son rival ? "Ce n'était pas sur un ton sérieux", se défend le rappeur. "J'ai dit ça parce que je sais ce qu'il pense de moi, je sais nos antécédents. Il a quand même menacé de boire mon sang dans une vidéo. Il me faisait face, je me suis dit que ça ne sentait pas bon."

Vidéo suivante. À 14h52 et 10 secondes, Booba entre en salle d'embarquement, t-shirt blanc et sac noir à la main. "C'est vous ?" demande la présidente. "On ne voit rien, y'a du noir, du blanc. C'est peut-être moi", grommelle le prévenu. Le tribunal a du mal à lui donner tort, les yeux plissés sur des images de vidéosurveillance filmées de loin. De part et d'autre, les avocats proposent des interprétations en faveur de leurs clients. Dans le clan Booba, un conseil fait remarquer que Kaaris fait des mouvements de bras dans l'aéroport, comme s'il s'échauffait. "Il attend son avion, c'est tout", balaye le camp adverse.

"On voit des enfants, on entend des cris". L'audience traîne. "Ce qui 'est intéressant, c'est le moment où Kaaris se lève", estime Me Le Bras. Même sur ce point, les conseils ne parviennent pas à se mettre d'accord. Un assesseur est forcé de trancher sur l'un des extraits :"il a une fesse sur le banc". C'est le moment que l'un des avocats des parties civiles choisit pour replacer le dossier dans son contexte : "sur ces vidéos on voit aussi des enfants, on entend des cris. C'était une période de départs en vacances". La société de Duty free dans laquelle s'est déroulée une partie de la rixe a porté plainte, tout comme Aéroports de Paris.

Recentrés sur ce seul aspect, les deux rappeurs se rejoignent pour présenter leurs excuses, sifflant temporairement la fin de la récréation. "Je regrette : quelques minutes avant j'étais en train de faire des photos avec des familles, des enfants", explique Kaaris, sans pouvoir s'empêcher de répéter : "mais si j'ai mis des coups, c'est pour me défendre". Rien à voir, donc, avec le contentieux qui oppose les rappeurs par réseaux sociaux depuis plusieurs années. Auprès de Booba, la présidente tente quand même une question sur le clip de la chanson Gotham, dans lequel il tranche la gorge de son rival. "Mais je tue tout le monde dans la vidéo, c'est un dessin animé", s'étonne le quadragénaire. "Ça n'est pas du sérieux."