Jeunesse, violence, modèle américain : un sociologue casse 4 idées reçues sur les bandes

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Toujours plus jeunes et violents, biberonnés aux réseaux sociaux et inspirés par les gangs américains. Les faits-divers tragiques impliquant les "bandes de jeunes" ont rencontré un large écho dans les médias ces derniers mois. Invité d'Europe 1 samedi, le sociologue Marwan Mohammed a livré son analyse du phénomène.

Alors que plusieurs rixes mortelles entre jeunes ont fait les gros titres de l’actualité ces derniers mois, les commentateurs semblent s’accorder pour dire que les faits divers impliquant les bandes sont en augmentation. Ils véhiculent l'image de membres de plus en plus jeunes et de plus en plus violents. Auteur de plusieurs ouvrages sur le bandes de jeunes, le docteur en sociologie Marwan Mohammed a apporté un éclairage sur ce phénomène, cassant par la même occasion un certain nombre d'idée reçues.

Des adolescents de plus en plus jeunes ?

Les affrontements entre bandes sont un phénomène ancien. A la fin du 19e siècle, la presse documentait déjà les bagarres entre groupes de jeunes que l'on appelait alors les "apaches". Au cours du 20e siècle, ces jeunes prendront divers noms, des "blousons-noirs" jusqu'aux "zulus". "On disait déjà à l’époque, avec les mêmes mots, qu’ils étaient de plus en plus jeunes et de plus en plus violents", ironise Marwan Mohammed. Les études sociologiques menées depuis permettent d'observer que les jeunes qui entrent dans une bande le font généralement aux alentours de 13-14 ans et que cet âge n'a pas ou peu évolué.

En revanche, la sortie de ces "logiques de bandes" s'effectue de plus en plus tard. Dans les années 1950-60, les facilités d'embauche conduisaient à une sortie du giron des bandes aux alentours de 20 ans, de même que le service militaire alors en vigueur pouvait provoquer cette cassure. Dans le contexte actuel, on assiste au contraire, selon Marwan Mohammed, à un prolongement de l'adolescence et à un vieillissement global des membres des bandes.

Le laxisme de la justice directement en cause ?

Amenés à s'exprimer sur les événements survenus à Saint-Chéron, Boussy-Saint-Antoine ou Champigny-sur-Marne, de nombreux politiques ont été prompts à fustiger le laxisme de la justice. "Ce discours appelant à plus de fermeté se répète comme un disque rayé mais il est en décalage avec la réalité des faits", affirme Marwan Mohammed.

D'une part, le sociologue assure que les violences pouvaient être encore plus intenses du temps où les jeunes risquaient le bagne et ne bénéficiaient pas des lois sur la protection de l'enfance. Surtout, il met en lumière les stratégies de terrain ayant fait leur preuve : la présence adulte, le travail social, le travail de prévention ou la présence d’animateurs dans l’espace public. "Ces jeunes restent des adolescents, des êtres en formation", ajoute-t-il.

Une place centrale des réseaux sociaux ?

La place des réseaux sociaux dans les affrontements entre bandes de jeunes est, du propre aveu de Marwan Mohammed, une nouveauté donnant un écho particulier au phénomène. Désormais, il est possible de suivre le fil d'une querelle entre jeunes depuis sa genèse jusqu'à son règlement, en temps réel et à grands renforts de photos et de vidéos.

" En France, les marchés criminels sont gérés par des équipes et les petites bandes de jeunes adolescents vivent leur vie à part. "

Mais le sociologue pointe surtout leur rôle amplificateur de logiques préexistantes : les "enjeux de réputations" et le prestige social sont centraux dans la dynamique d'une bande. Par ailleurs, la documentation des conflits fait que ces derniers ne sont désormais plus circonscrits à une dizaine de personnes mais potentiellement visibles par des centaines d'internautes. "Avant, le travail de scénarisation était effectué par les journalistes et les groupes n’avaient pas la maîtrise ni de la diffusion, ni de la scénarisation. Aujourd’hui ils sont totalement autonomes et indépendants pour diffuser les images qu’ils veulent", explique Marwan Mohammed.

Les Etats-Unis, matrice de la France ?

Les "apaches" font référence à une tribu indienne, les "blousons noirs" sont directement inspirés de James Dean et de Marlon Brando et les "zulus" une référence à la culture Hip-Hop. Preuve qu'en matière de bandes de jeunes, il existe une '"obsession nord-américaine". Pourtant, la réalité est extrêmement différente en France. Marwan Mohammed évoque d'abord l'importance des gangs qui regroupent des centaines, des milliers voire des dizaines de milliers de personnes dans des organisations qui couvrent tout l'ensemble du territoire américain. Outre-Atlantique, les bandes se mêlent avec les organisations criminelles très développées, impliquées dans divers trafics. "En France c’est séparé : les marchés criminels sont gérés par des équipes et les petites bandes de jeunes adolescents vivent leur vie à part."

Enfin, le sociologue note qu'aux Etats-Unis, les gangs peuvent être assimilés à des "communautés" exerçant une "fonction sociale" ne pouvant être réduites à leur dimension criminelle, bien que celle-ci demeure prégnante. Un aspect totalement absent au sein les bandes de jeunes en France.