Députés et sénateurs sont d'accord sur un point : la justice française est mal en point. Au mois de juin, le président LR de la commission des lois au sénat, Philippe Bas, évoquait une "situation d'embolie" du service public de la justice. Un diagnostic partagé par son homologue PS à l'Assemblée nationale, Dominique Raimbourg, pour qui "nous n'avons pas suffisamment pensé à la mise en oeuvre des réformes". Mais lorsqu'il s'agit de se mettre d'accord sur des solutions, les deux chambres peinent à trouver un terrain d'entente.
Preuves en sont leurs désaccords sur le projet de réforme simplifiant le fonctionnement de la justice, initié par Christiane Taubira et désormais porté par son successeur, Jean-Jacques Urvoas. Baptisé "Justice au XXIe siècle", le texte comporte une série de mesures symboliques, comme la simplification du divorce par consentement mutuel ou la procédure de changement de sexe à l'état civil. En juin, après un premier examen du projet par les deux assemblées, députés et sénateurs ont échoué à trouver un accord en commission mixte paritaire. Le texte doit donc faire l'objet d'une nouvelle lecture dans chaque chambre et revient au Sénat, à partir de mardi. Europe1.fr fait le point sur ce qui coince encore.
Collégialité de l'instruction : abandon ou maintien pour "certains actes" ?
Le projet "Justice au XXIe siècle" prévoit l'abandon de la collégialité "systématique" des juges d'instruction, votée après le fiasco judiciaire de l'affaire d'Outreau, en 2007. Une mesure jamais mise en place par le ministère de la Justice, qui argue ne pas pouvoir créer "du jour au lendemain", 300 postes de juge d'instruction.
Ce qui coince : Lors de la commission paritaire, le Sénat a fait valoir que la fin de la collégialité "obérait l'avenir du juge d'instruction". En commission des lois, la semaine dernière, les Sénateurs ont toutefois "admis que la situation budgétaire de la justice ne permettait pas sa mise en oeuvre prochaine". Mais la chambre haute considère que le principe doit être conservé", contrairement au vote des députés en nouvelle lecture. Elle a ainsi rétabli la collégialité pour "certains actes, à la demande des magistrats saisis ou des parties, ainsi que pour les affaires pénales les plus complexes".
Changement de sexe à l'état civil : le Sénat veut des "critères objectifs"
En l'absence de loi, les demandes de changement d'état civil des personnes transgenres aboutissent à des décisions différentes d'un tribunal à l'autre, certains exigeant une stérilisation des requérants. Afin d'homogénéiser les pratiques, la réforme propose que chaque personne soit reçue par un procureur pour démontrer qu'elle "se sent d'un autre sexe".
Ce qui coince : "Les associations sont les premières à ne pas vouloir du texte de l'Assemblée nationale", assure Philippe Bas, interrogé par Le Figaro. La commission des lois du Sénat s'est ainsi prononcée pour une procédure "mieux encadrée", prise "en fonction de critères objectifs, y compris de nature médicale, sans exiger une intervention chirurgicale irréversible, et pas uniquement au vu de la volonté exprimée par la personne".
Divorce par consentement mutuel : la protection des enfants au coeur du débat
Afin de désengorger les tribunaux, le projet de réforme propose de simplifier le divorce par consentement mutuel, qui se ferait chez le notaire, sans passer devant un juge. Si les époux sont parents de mineurs, ils doivent cependant informer l'enfant de "son droit à être entendu par le juge". Si ce dernier souhaite l'exercer, il ne peut lui être refusé.
Ce qui coince : La commission des lois du Sénat pointe "le manque de protection de l'enfant", jugé trop fragile pour faire valoir son point de vue dans la procédure, ainsi que "le coût pour les couples, avec le recours obligatoire à deux avocats". Elle a donc décidé que la procédure sans juge soit "exclue en présence d'enfants mineurs", et optionnelle dans les autres cas, "chaque conjoint pouvant exiger le retour à la procédure judiciaire de droit commun".
Si la commission des lois du Sénat souligne son "esprit d'ouverture", l'Assemblée nationale, qui a le dernier mot, devrait remodeler à nouveau les articles correspondant à ces mesures. "C'est un aveu de faiblesse de la part de Jean-Jacques Urvoas, qui souhaite passer en force pour ne pas donner l'impression qu'il pactise avec la droite, alors que nous entrons en période électorale", explique Philippe Bas au Figaro. De son côté, le garde des Sceaux à d'ores et déjà annoncé le dégel de 107 millions d'euros dans le cadre de ce projet de modernisation. "Les juridictions vont pouvoir dépenser utilement cette somme et éviter d'accumuler de nouvelles dettes", estime le ministre de la Justice.