"Nous allons créer un écosystème favorable à la musique", a promis, lundi, Jean-Michel Blanquer. Le ministre de l'Éducation nationale et sa collègue de la Culture, Françoise Nyssen ont annoncé leur volonté de proposer une chorale dans 100% des écoles, du CP au CM2, et ce dès la rentrée 2019. Au collège et dans les lycées pro, la chorale sera également proposée en option, comme le latin.
Concrètement, le gouvernement a promis de débloquer pas moins de 20 millions d’euros par an pour payer des professionnels et des professeurs des conservatoires ou des écoles de musique qui viendront accompagner les élèves et les enseignants. Ces chefs de chorale auront libre-choix des chansons à proposer aux élèves. Mais certains morceaux leurs seront "recommandés" par le ministère, à l’instar de la Marseillaise ou de l’Ode à la joie, l’hymne européen, ainsi qu’un certain nombre d’artistes du patrimoine français (Piaf, Brassens et Bizet par exemple) ou des artistes étrangers qui ont marqué l’histoire, comme Mozart.
Les ministres le promettent : aucun cours de chorale ni aucune musique particulière ne seront imposés. A l’école, l’objectif sera de "vitaliser" ce qui se fait déjà dans certains établissements, où les équipes pédagogiques proposent parfois des chorales. Le principe est simple : tous les élèves de France qui le souhaiteront devront pouvoir s’inscrire à la chorale, qui devrait être organisée à l’échelle de l’école toute entière (et non classe par classe). Au collège, les choristes pourront gagner des points pour le brevet grâce à leurs prestations vocales. Là encore, le principe sera optionnel, sur le modèle du latin par exemple : les élèves qui le souhaitent se verront proposer deux heures par semaine. Chaque établissement pourra imaginer une représentation à des moments clés, comme la rentrée ou la fête de la musique. Enfin, un "cœur de l’Education nationale", réunissant les meilleurs choristes, va être créé.
"La musique fait du bien à l’école et on n’en fait pas assez en France", justifie ainsi le ministre de l’Education nationale. Grande-Bretagne, Suède, Suisse… Plusieurs pays offrent en effet des cours de chant ou de musique dès le plus jeune âge, dans le cadre de leur scolarité obligatoire. Et la France semble en avoir compris l’intérêt.
"La pratique de la musique au sein d’un groupe – orchestre ou chorale – entraîne un sentiment fédérateur précieux dans un contexte plus général de fragilisation de la cohésion sociale", expliquait déjà, en juillet dernier, une note (rédigée par la Sacem, la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) mis à disposition des enseignants par le ministère de l’Education. "En alliant discipline, rigueur et plaisir, la musique peut aider les enfants à surmonter leurs difficultés scolaires, développer leurs facultés d’apprentissage, mais aussi valoriser les notions d’effort et de progrès", pouvait-on encore y lire.
L’activisme du ministère de l’Education nationale au sujet de la musique s’inscrit dans la lignée d’une longue série de recherche en neuroscience. "On en sait aujourd’hui beaucoup plus sur le cerveau, et il serait aberrant de se priver de ce nouveau champ de connaissances", expliquait, en novembre, le ministre de l’Education lors d’un point presse. Parmi les nombreuses études notables, on peut citer par exemple celle réalisée en 2012 par l’université de Bourgogne et le CNRS sur près de 500 élèves. Les chercheurs arrivaient à la conclusion que les élèves du CP ayant un programme musical continu obtiennent des notes plus élevées de 20% en lecture, 25% en maths et 75% en exercice de mémorisation par rapport à la moyenne. Une précédente étude, canadienne, réalisée en 1993 sur 144 enfants était même arrivée à la conclusion que les enfants qui ont suivi des leçons de chant et de piano voyaient leurs résultats aux tests de QI augmenter de plus de la moitié.
Développement de l’empathie, du "sentiment de groupe", de la socialisation… Les vertus prêtées à l’éducation musicale dès le plus jeune âge par les scientifiques sont légions (voire ici un résumé de recherches effectuées sur le sujet). Et ce "plan chorale" sera l’occasion d’en réaliser une expérimentation grandeur nature.
Des parents d’élèves aux enseignants, tous saluent l’idée. Reste que Jean-Michel Blanquer n’a pas encore levé tous les doutes sur la mise en œuvre de son "plan". Certains s’inquiètent en effet du caractère optionnel, qui risque d’entraîner des inégalités entre ceux qui choisiront les options, et les autres. Aussi, et surtout, d’autres s’interrogent sur la répartition des moyens : l’essentiel des 20 millions d’euros seront consacrés au collège, seuls 500.000 étant pour le moment affectés à l’école primaire.
"Or, il faudra bien former du personnel pour atteindre l’objectif de 100% des écoles. Faire le chef de cœur pour 100 ou 200 élèves, cela ne s’improvise pas. Certaines écoles pourront travailler avec les conservatoires qui sont proches. Mais comment feront les écoles des milieux ruraux ?", s'interroge ainsi Francette Popineau, secrétaire générale du Snuipp Fsu, premier syndicat du primaire, qui redoute également le caractère uniforme des chorales : "La chorale est une bonne idée, elle fédère, elle travaille la tolérance. Mais elle prend aussi beaucoup de temps. Or, à vouloir se concentrer sur la chorale, on risque de passer à côté d’autres formes d’écoutes musicales. On pourrait faire une chorale une année, et faire autre chose l’année suivante", assure l’enseignante, contactée par Europe 1. Et de conclure : "la chorale n’est pas une arme magique. Et l’on peut questionner la priorité qui lui est donnée, alors que cela fait 20 ans que l’on a pas eu une formation continue à l’apprentissage de la lecture, l’écriture ou des maths".