Direction les années 1950 et un petit village de montagne des Hautes-Pyrénées, Arreau. C'est dans cette commune de moins de 800 âmes qu'un sordide meurtre est commis en 1953, sur fond d'alcool, d'argent et de lessiveuse, comme le raconte Christophe Hondelatte lundi.
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Histoire d'ivrogne. Il fait déjà nuit sur Arreau, lorsque un ouvrier agricole italien, du nom de Angélo Bisighni, cavale dans les rues du village en direction de la gendarmerie. Une fois sur place, cet ivrogne notoire raconte avoir assisté à une scène terrible chez un de ses anciens collègues, Jean Fourasté, lui aussi très porté sur la bouteille. Il prétend en effet avoir, vu dans la lessiveuse de la cheminée, un pied humain qui dépassait. Les gendarmes croient peu à l'histoire de celui qu'on surnomme "Bikini", mais, professionnels, ils décident tout de même de se déplacer. Pour vérifier.
Et quelle découverte une fois chez Jean Fourasté ! Lui et son amante, Marie Lapierre (surnommée "la femme Lapierre"), sont complètement ivres, la cuisine ressemble à un véritable atelier de boucherie, avec du sang partout, et dans la lessiveuse, ce n'est pas un pied humain, mais deux qui dépassent. Dans l'atelier, non loin de là, les gendarmes trouvent également d'autres morceaux de corps. Les deux amants ont dû tuer quelqu'un, le couper en morceaux, avant de le faire bouillir. Horrible. Mais pour l'instant, impossible de tirer quelque chose de Jean Fourasté et de la femme Lapierre. Trop alcoolisés, ils sont emmenés en cellule de dégrisement.
Mais Angélo Bisighni, lui, a bien une idée de qui peut être la malheureuse victime. Il s'agit sans doute de Pierre Laran, 78 ans, hébergé depuis six mois chez le couple et qui répond aux abonnés absents.
L'argent comme mobile. Une fois l'identité de la victime confirmée, les gendarmes apprennent que Pierre Laran était doté d'un important capital et qu'il recevait chaque mois une confortable retraite. Le lendemain de la découverte du cadavre, une fois Jean Fourasté et la femme Lapierre sobres, les gendarmes les interrogent. Bien vite, ils se rendent compte que le couple s'était accaparé la retraite de Pierre Laran depuis des mois. La femme Lapierre, elle, avait même acheté une maison avec une grande partie de son capital, en oubliant de le mentionner dans l'acte d'achat. Pierre Laran, s'il était d'accord pour financer l'achat avec elle, aurait piquer une colère noire en voyant qu'il s'était fait duper. "Ce n’est pas simplement un crime d’ivrogne. C’est aussi un crime crapuleux de la femme Lapierre", explique Jean-François Fourcade, ancien avocat et auteur du livre Crimes en Bigorre, où est raconté ce fait-divers.
Face aux autorités, le couple passe aux aveux. La femme Lapierre explique qu'elle a acheté du Gardenal, un barbiturique, à la pharmacie, après quoi elle est allée à la quincaillerie pour prendre de la soude caustique, afin de dissoudre le cadavre. Elle aurait mis le médicament dans les crêpes de Pierre Laran. Et la suite ? C'est Jean Fourasté qui la raconte. C'est lui qui a tué Laran le lendemain matin, alors qu'il était très affaibli avec la dose de barbiturique ingurgitée. Il l'a étouffé dans son lit, le matin. Ensuite, sans raison évidente, ils auraient décidé de découper le cadavre pour le faire cuire. Jean Fourasté reconnaît qu’il a donné le premier coup de scie. La femme Lapierre dit qu'elle n'était pas là lorsque cela s'est produit. "Faire cuire un cadavre dans une lessiveuse en 1953, ce n’était pas habituel, c’est pour cela que l’affaire a fait grand bruit à l’époque", confie Jean-François Fourcade.
La tête sauve. Le procès s'ouvre après 22 mois d'enquête, avec encore des zones d'ombre et notamment une : pourquoi Jean Fourasté a voulu tuer Pierre Laran, puisqu'il n'avait aucune raison personnelle de le faire, contrairement à la femme Lapierre, dont la victime avait découvert l'escroquerie. Devant la cour d'assises, les deux accusés se rejettent mutuellement la faute et reviennent entièrement sur leurs aveux. À les écouter, ils n'ont respectivement rien fait. L'avocat général requiert la peine maximum, la peine de mort à l'époque, retenant notamment la préméditation.
Mais coup de théâtre, Jean Fourasté et la femme Lapierre sont bien reconnus coupables, mais seulement de meurtre, sans préméditation. Malgré l'achat du Gardenal et de la soude, les magistrats n'ont pas retenu ce chef d'accusation. Ils finiront leurs jours aux travaux forcés. Les deux accusés doivent leur salut à un homme : Maître René Floriot, un des plus célèbres avocats de l'époque, qui défendait la femme Lapierre à l'époque. C'est lui qui instilla le doute sur la préméditation dans l'esprit des magistrats et qui réussira à sauver la tête des deux accusés. "Avec des phrases simples et courtes, il démontait les dossiers d'accusation, il n'y avait aucun effet de manche", se souvient Jean-François Fourcade.