"Les obèses, soit ils restent chez eux, soit ils rasent les murs". Dans son livre, "On ne naît pas grosse", publié le 15 juin (Eds Goutte d'or), Gabrielle Deydier 37 ans, 1m53, 140 kilos, raconte son histoire, celle d'une jeune femme devenue obèse, celle d'une personne incomprise contrainte à la marginalité. Surtout, elle dénonce les travers d'une société qu'elle qualifie de "grossophobe". Rencontre.
La grossophobie, c'est quoi?
C'est une discrimination qui résulte du fait d'être gros. Ce n'est pas de la simple raillerie, c'est au delà. Mais les gens s'en moquent un peu car les gros ne se défendent pas, les gros ont honte d'être gros, alors ils se laissent faire.
Comment êtes vous devenue grosse?
J'ai toujours été un peu plus ronde que mes camarades. A 16 ans, je suis passée d'une taille 40 à une taille 42. Ça angoissait un peu ma famille, donc j'ai décidé d'aller voir un médecin pour perdre ces dix kilos que j'avais en trop. Il m'a diagnostiqué une maladie de la glande surrénale, que je n'avais pas en réalité et m'a recommandé de perdre 20 kilos. Mais les cocktails hormonaux m'ont fait grossir et en un été j'ai pris 30 kilos. En parallèle, le médecin me prescrivait des régimes toujours plus sévères. Cela a totalement bouleversé mon rapport à la nourriture. C'est devenu une obsession, en quelques jours je dévalisais les placards.
Pourtant vous l'écrivez, vous n'aviez pas de prédispositions génétiques...
Non, mes parents sont minces et l'ont toujours été. Mais l'obésité est la conséquence de plusieurs facteurs. Moi, je coche plusieurs cases et notamment celle de la pauvreté. Quand mes parents se sont séparés, nous avons vécu pendant 4 ans avec l'aide alimentaire. Cela empêche les gens de crever, mais c'est un fait, c'est de la nourriture transformée, et il n'y a pas beaucoup de légumes, de fruits.
Par ailleurs, mes parents étaient eux aussi obsédé par la maigreur. Quand ils se sont rencontrés, ma mère faisait une taille 0, mon père n'était pas plus épais. Ma mère s'est toujours trouvée grosse même en taille 38, alors moi avec mon 40, forcément ça ne pouvait pas aller.
Après cette prise soudaine de poids, le regard des autres a-t-il changé ?
Des camarades et des profs ne m'ont pas reconnue à la rentrée. Les regards étaient pour la plupart sévères. Le summum de l'humiliation a été ma rencontre avec l'infirmière du lycée qui m'a demandé si mes traitements entraînaient des effets secondaires et notamment des odeurs de transpiration et si je me nettoyais entre les bourrelets.
J'ai commencé à me descolariser. Les obèses, soit ils restent chez eux, soit ils rasent les murs. C'était pareil lorsqu'il a fallu trouver un emploi. A chaque fois je me suis fait maltraiter au travail, j'ai subi des insultes.
Et dans votre quotidien également…
Oui. Pendant très longtemps j'ai été incapable de manger un sandwich dans la rue parce que quand je le faisais je me faisais insulter à coup de "La grosse t'as pas besoin de bouffer" ou "c'est pas l'heure du repas".
Un jour, un dentiste m'a également demandé d'arrêter de me brosser les dents avec du caramel et un échographiste m'a assuré que me faire une échographie reviendrait à gaspiller l'argent de la sécurité sociale car on y verrait rien avec mes bourrelets. Ce ne sont que quelques exemples parmi tant d'autres.
Quand on est gros on est forcément "culpabilisé"?
Les gens ont admis que l'anorexie était un trouble du comportement alimentaire, ils n'admettent pas la même chose avec l'obésité qui est pourtant une maladie chronique. La culpabilité commence à la maison, quand vos parents vous mettent la pression au niveau de la nourriture, quand le prof de sport vous dit que vous ne courrez pas assez vite.
L'écriture, c'est une forme de thérapie?
Ce que je raconte dans ce livre, même mes psys ne l'avaient jamais entendu. Cela a été très douloureux, ça m'a valu des larmes mais une fois que c'est sorti, cela a été libérateur. Aujourd'hui des femmes m'écrivent pour me dire qu'elles se reconnaissent dans mon témoignage. Je ne m'y attendais pas et ça fait du bien.
(Crédit : Editions Goutte d'Or)