L’échec annoncé du plan numérique au collège

Les collégiens doivent être équipés de tablettes à partir de la rentrée.
Les collégiens doivent être équipés de tablettes à partir de la rentrée.
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Grégoire Martinez , modifié à
A deux mois de sa première échéance majeure, le plan numérique au collège voulu par François Hollande fédère la totalité des acteurs du secteur contre lui.
ENQUÊTE EUROPE 1

L'idée était ambitieuse. Équiper 800.000 collégiens de 5ème d'une tablette (ou d'un autre outil numérique) avant la rentrée 2016. A deux mois de l'échéance, le plan annoncé par François Hollande lors d'une intervention télévisée en novembre 2014 est pourtant très loin de se réaliser et les différents acteurs du secteur ne cachent pas leur amertume. Et pour cause, le grand "plan numérique" semble prendre le dangereux chemin du plan "informatique pour tous", échec cuisant des années 80.

Moins d’un an après l’annonce, le chef de l’État avait déjà rétro-pédalé. Dans un discours prononcé en mai 2015, François Hollande éclipsait l’équipement des 800.000 collégiens de cinquième pour la rentrée 2016 au profit d’un plan étalé sur trois ans. 

"Attention à la technocratie". Mais, au sein du gouvernement des voix dissonantes se font entendre. "Attention à la gestion technocratique et centralisatrice", confie à Europe 1 un ministre pour qui le plan est loin de ses objectifs et qui avoue à demi-mots craindre un fiasco similaire à celui grand plan "informatique pour tous", qui s'était soldé par un véritable échec dans les années 1980. "Ce qui me fait le plus peur ? Est-ce que ces outils seront vraiment des atouts, des plus", s’interroge le même ministre. "Mal utiliser des outils numériques, c'est pire que de ne pas en utiliser", assène-t-il, passablement énervé par la gestion inadaptée du plan.

"À votre avis, quel sera le résultat ?" Dans les établissements qui seront équipés dès la rentrée se pose aussi le problème de la formation des enseignants à l'usage de ces outils. "20 millions d'euros sont alloués à la formation des enseignants", explique à Europe 1 Ollivier Lenot, conseiller en charge du numérique au ministère de l'Éducation nationale. Dans la pratique, ce budget doit permettre aux professeurs de suivre une formation de trois jours sur le numérique. Le ministère l'assure : "l'État accepte de cofinancer les équipements des élèves uniquement s'il a la garantie que les enseignants seront formés". "Le numérique peut permettre un suivi plus personnel des élèves, mais pour cela il faut que les enseignants soient très bien formés", confient, presque à l’unisson, des voix venants de Bercy et du ministère de l'Éducation nationale. Et si les deux sources insistent sur la formation, c'est que les ambitions de l’Éducation nationale semblent assez loin des réalités.

La vision des enseignants est en effet bien différente. "Des gens qui sont là depuis quarante ans et qui savent à peine se servir d'un vidéoprojecteur vont devoir, après trois jours de formation, gérer une classe où tous les élèves ont une tablette ? A votre avis quel sera le résultat ?", assène une professeure de français dont le collège fera partie des premiers à être équipés à la rentrée. La formation sera donc bien le critère essentiel de ce plan numérique. "Le critère clé de la réussite, ça va être l'appropriation ou non des équipements par les enseignants", conclut un ministre.

Des équipements divers. Pour éviter les critiques directes, le gouvernement a choisi de laisser les collectivités locales et les académies gérer les appels d'offres. "Un choix fait pour coller aux réalités du terrain", assure-t-on rue de Grenelle. Fruit, pourtant, d'une équation impossible. "Quand ça ne va pas, on se tourne vers l'État, et quand l'État gère, les collectivités locales ne sont pas contentes", résume un conseiller ministériel. Un mal pour un bien. "De nombreux départements n’ont pas encore lancé leurs appels d’offres alors que nous sommes à moins de trois mois de l’échéance", explique Angelo d’Ambrosio, PDG d’Acer France, qui mène déjà plusieurs expérimentations dans les collèges.

Face à cette multiplicité des appels d’offres, les équipements seront tout aussi nombreux. "Un département pourra très bien choisir l’iPad et un autre une tablette Android ou Windows", confirme à Europe 1 le ministère de l’Éducation nationale. Le type d’équipement pourra aussi varier du tout au tout selon les établissements : certains collégiens pourraient par exemple se voir attribuer une tablette qu’ils conserveraient 24h/24 et d’autres une tablette dont ils ne disposeraient que dans l’établissement.

Quid de l’avenir du matériel. Autre question face au développement et à la multiplicité des équipements : leur avenir en cas de perte ou de vol. Difficile en effet de ne pas penser que certaines tablettes seront cassées ou perdues par leurs jeunes propriétaires. "Des stocks de réserve sont prévus au cas-où", assure-t-on au ministère, mais le coût du renouvellement du matériel est en revanche inconnu. Une assurance sera donc liée à chaque tablette, mais, là encore, son financement est obscur.

Le ministère de l’Education nationale explique que la majorité des départements, comme la Nièvre, ont fait le choix de financer l’équipement des élèves et l’assurance de cet équipement. D’autres, moins généreux, n’ont en revanche pas prévu de financer cette assurance. Elle reviendrait alors à la charge des parents. Malgré plusieurs questions sur ce sujet, l’entourage de Najat Vallaud-Belkacem reste silencieux. Alors que ses conseillers n’hésitent pas à citer des départements prenant en charge l’assurance, la liste des départements qui ne la supporteront pas ne nous a pas été communiquée. "Des discussions sont en cours avec les rectorats pour que les départements prennent en charge l’assurance", se contente-t-on d’indiquer.

Autre problème, "il n’y a rien de prévu sur la responsabilisation des familles avec les tablettes", déplore Jean-François Clair du syndicat SNES-FSU.

La gestion des logiciels verrouillée en haute sphère. Autre contradiction pointée du doigt : si les appels d’offres pour les équipements sont lancés par les départements, les ressources logicielles (livres, logiciels…), elles, sont gérées par le ministère de l’Éducation nationale au niveau national. Une gestion "ultra-technocratique" et verrouillée, regrette un conseiller ministériel. Baptisé "Banque numérique", cet appel d’offres droit permettre une homogénéité des exercices et des contenus entre les académies. Problème, alors que bon nombre de petits acteurs du secteur se réjouissaient de cet appel d’offres et pensaient pouvoir proposer leurs solutions, le ministère a majoritairement retenu les éditeurs historiques de livres scolaires. De quoi provoquer la colère des start-up dans ce domaine. "C’est compréhensible vu la manière dont s’est passée la sélection", confirme un conseiller ministériel.

Du côté des professeurs, on pointe l’absence de réflexion autour des usages. "Quelque part il y a quelqu’un qui décide que les élèves vont utiliser les tablettes sans que personne ne se soit jamais posé la question de ce que l’on peut faire avec des tablettes", regrette Jean-François Clair.

Le BYOD en guise de solution ? Pour certains, la solution aurait été le BYOD. Cet acronyme anglais pour Bring Your Own Device, (apportez votre propre équipement, en bon français) aurait pu résoudre une partie des problèmes. Chaque élève aurait apporté sa tablette et les élèves non équipés l'auraient été par l'Éducation nationale. La solution avait même été proposée par le secrétariat d'État au Numérique. "Trop compliqué", avait-on répondu à l'époque.