L'aide-soignante disait avoir voulu "soulager leurs souffrances". En décembre 2013, Ludivine Chambet a été mise en examen pour avoir administré un cocktail de somnifères aléatoirement dosé à neuf des pensionnaires de l'établissement hospitalier pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) Le Césalet, à Jacob-Bellecombette, en Savoie, provoquant la mort de six d'entre eux. Trois ans plus tard, l'enquête a mis au jour quatre décès suspects supplémentaires, soit treize empoisonnements au total. La jeune femme en reconnaît onze. Début novembre, le juge d'instruction a décidé de la renvoyer devant la cour d'assises, révèle le Parisien, mercredi.
Des analyses toxicologiques accablantes. L'affaire éclate au mois de novembre 2013, lorsqu'une pensionnaire de la maison de retraite, âgée de 84 ans, tombe brutalement dans le coma puis décède. Les médecins relèvent le caractère "atypique" du cas de la patiente, qui ne présentait pas de problème de santé particulier. Des analyses toxicologiques confirment leurs doutes : dans le sang de l'octogénaire, des psychotropes ne faisant pas partie de son traitement sont identifiés. Progressivement, le personnel médical fait le lien avec deux ou trois cas similaires, dont personne ne s'était auparavant inquiété. "Nous sommes dans une maison de retraite avec des personnes, âgées, très âgées : c'est un endroit où l'on meurt beaucoup, c'est dans la nature des choses", explique alors Guy-Pierre Martin, directeur de la structure.
Les substances utilisées ne font l'objet d'aucune réglementation particulière : elles sont accessibles à tout le personnel de l'Ehpad. Des recoupements de planning permettent rapidement d'identifier Ludivine Chambet, présente lors de tous les décès suspects. D'emblée, l'aide soignante avoue avoir administré des mélanges pour "soulager" ses patients, confessant même des cas encore non identifiés par les enquêteurs. Aucun des pensionnaires de l'Ehpad ne lui a fait part d'une quelconque volonté de mettre fin à ses jours. "Toutes ces personnes avaient un âge certain mais elles n'étaient pas en fin de vie", précise à l'époque le substitut du procureur de Chambéry. Le 12 décembre, Ludivine Chambet est mise en examen et écrouée.
"Elle a dû tout mélanger". Les enquêteurs découvrent alors une personnalité renfermée, discrète et solitaire. Très vite, ils identifient le déclencheur supposé de la folie meurtrière de la jeune femme brune. Au mois de juillet 2012, sa mère, dont elle était très proche, a succombé à une leucémie foudroyante. "Elle s'était énormément occupé de sa mère durant sa maladie", raconte à l'époque l'une de ses collègues. "Sa mort l'a bouleversée. En voyant ces personnes âgées, elle a dû tout mélanger entre ce qu'ils vivaient et ce que sa mère a vécu." La ministre déléguée aux Personnes âgées, Michèle Delaunay, évoque, elle, une personne "fragile".
L'examen des dates des treize empoisonnements concorde : le premier remonte au 23 novembre 2012, puis les faits s'accélèrent. Pour le seul mois d'octobre 2013, l'Ehpad enregistre quatre décès suspects. La justice a pourtant choisi de ne pas poursuivre la direction de l'hôpital, vivement critiquée par les familles des victimes. Dans un rapport d'expertise psychiatrique de Ludivine Chambet, "il est écrit que l'aide soignante se comportait bizarrement, qu'elle poussait des cris au travail, qu'elle souffrait d'un syndrome dépressif manifeste. Alors pourquoi personne n'a réagi au sein de l'institution ?", s'interroge le petit-fils d'une patiente, interrogé par Le Dauphiné Libéré.
Le délai de réaction de l'hôpital devrait faire partie des sujets soulevés au procès, très attendu par les proches des victimes. En prison, Ludivine Chambet est suivie par un psychiatre, selon Le Parisien. "Elle cherche à comprendre son geste", assure l'un de ses avocats. "Et c'est un long travail."