INTERVIEW - Comment la perception de la pilosité chez les femmes et chez les hommes a-t-elle évolué au fil des siècles ? Dans le podcast "Au coeur de l'Histoire", Virginie Girod a interrogé Denis Bruna, commissaire de l'exposition au Musée des arts décoratifs intitulée "Des cheveux et des poils" qui retrace les modes capillaires et l'histoire du poil du XVᵉ siècle à nos jours.
A toute époque, les rituels liés à la pilosité sont le reflet des moeurs et des tabous de la société. Denis Bruna, commissaire de l'exposition "Des cheveux et des poils" au Musée des arts décoratifs, raconte dans le podcast "Au coeur de l'Histoire " comment a évolué le regard porté sur le poil au fil des siècles.
A quand remonte la contrainte de l'épilation pour les femmes ?
"Depuis au moins le Vᵉ siècle avant Jésus-Christ, on voit des scènes d'épilation intime féminine, c'est à dire le fait de raser les poils du pubis, et on le voit encore dans l'Occident chrétien aux XIVᵉ et XVIᵉ siècle. On a par exemple trouvé des textes intéressants où des femmes de modeste condition qui vivaient à Paris à cette époque allaient régulièrement aux étuves, c'est à dire aux bains publics, pour se laver et en profiter se faire raser le poil, comme on disait. Il y aussi beaucoup de gravures du XVIIe et XVIIIe siècles qui montrent des femmes seules se rasant. Mais l'épisode du rasage intime devient ensuite le prétexte de gravure érotique pornographique, où on est plusieurs autour de la dame qui se rase comme un véritable spectacle."
Quand apparaissent les accessoires modernes de rasage ?
"A partir des années 1920, dans les années folles les robes dans la mode féminine deviennent beaucoup plus courtes. Elle s'arrêtent au genou, les bras sont dégagés. Désormais, on voit plus qu'autrefois le corps féminin, donc les hommes mais aussi les femmes vont encourager les femmes à se raser les jambes et les aisselles. Ainsi, on voit à partir de 1920 apparaître une batterie de petits rasoirs de poche féminins. Et à la même époque, la machine dépilatoire, qui était faite à base de gaz, où on allait brûler le poil à la racine jusqu'à l'électrolyse et ensuite le laser et la lumière pulsée."
Chez les hommes, quel symbole attribuait-on à la pilosité du visage ?
"Au XVe siècle, l'Europe est très chrétienne, donc il ne fallait surtout pas de barbe car c'était ce qu'on voyait sur les visages des musulmans et des juifs. Puis au XVIe siècle, un homme qui avait de l'éducation, un courtisan ou un guerrier, un homme viril, devait absolument avoir la barbe. La barbe est revenue ensuite dans la seconde moitié du XIXe siècle, dans les mouvements littéraires et pour les aventuriers. Elle disparait avec la moustache au siècle suivant, dans les années 1930, sous l'impulsion du cinéma américain où les hommes étaient parfaitement imberbes avec les cheveux plaqués à la célèbre Gomina (NDLR : gel capillaire). La barbe n'est réapparue qu'avec le mouvement contestataire des hippies dans les années 70, puis dans les années 90 avec l'essor du mouvement hipster qui vient des États-Unis.
L'épilation a-t-elle aussi été une injonction masculine ?
"Je dirais que le poil corporel masculin a eu mauvaise presse, surtout chez les hommes de moins de 35 ans. S'épiler entièrement, on le faisait autrefois. Par exemple, on sait qu'au XVIIIᵉ siècle, les hommes de l'aristocratie s'épilaient ou se rasaient entièrement la veille de leur mariage, pour ne pas effrayer la jeune épouse qui allait découvrir pour la première fois de sa vie un homme nu. Et donc les poils pouvaient faire peur. Aujourd'hui, ce n'est plus le même cas : on se rase parce qu'on est dans une société extraordinairement hygiéniste. Il n'y a pas si longtemps, avec le COVID-19, je me souviens d'avoir lu la Une d'un grand quotidien français qui conseillait fortement aux hommes barbus de se raser puisque la barbe était soi-disant un nid à bactéries. On est loin des années 1970 où il fallait avoir beaucoup de poils sur la poitrine, et d'ailleurs on ouvrait la chemise grand, jusqu'au nombril, pour les montrer. D'ailleurs, ceux qui n'en avaient pas s'achetaient parfois des postiches pour se coller des poils sur le torse."
Et dans la pornographie ?
"Quand on regarde les films érotiques des années 1970 avec Brigitte Lahaie notamment, les femmes sont plus poilues. Avant cela, le poil n'était pas de bon ton dans la photo érotique ou les films pornographiques. On a des revues érotiques avec une femme nue qui a son sexe passé entièrement au pinceau. On a un triangle de couleur rose à cet endroit et on ne voit ni le sexe et encore moins les poils. Les historiens disent que c'est en 1973 qu'a été levée la censure."
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"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio.
Ecriture et présentation : Virginie Girod
- Production : Camille Bichler (avec Florine Silvant)
- Direction artistique : Adèle Humbert et Julien Tharaud
- Réalisation : Clément Ibrahim
- Musique originale : Julien Tharaud
- Musiques additionnelles : Julien Tharaud et Sébastien Guidis
- Communication : Kelly Decroix
- Visuel : Sidonie Mangin