Les chiffres sont alarmants. Ceux du thermomètre, qui ne cessent de grimper, ceux des espèces animales, qui ne cessent de disparaître, ou ceux de ces populations, qui fuient leurs terres à cause du réchauffement climatique. Et pourtant. Selon une étude menée en 2015 par GreenFlex et l’Ademe (l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), 23% des Français se désintéressent des problématiques liées à l’environnement. L'enjeu ne fait même pas partie du trio de tête de leurs préoccupations, relégué derrière le terrorisme, la précarité de l'emploi et la santé, selon un rapport gouvernemental publié en 2017.
Le désormais ex-ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot, lors de l'annonce de sa démission, a souligné à plusieurs reprises sa solitude sur ces thématiques, comme il l'avait déjà fait en mars dernier, devant l'Assemblée : "Il y a des tragédies invisibles et silencieuses dont on s’accommode tous les jours, eh bien je vous le dis, tout seul, je n’y arriverai pas", avait-il lancé aux parlementaires. Esseulé sur le plan politique, l'est-il donc, aussi, auprès de la population ? Europe1.fr a posé la question à deux spécialistes.
"Pour beaucoup de Français, l'écologie est encore un problème lointain"
Par Géraud Guibert, président du think tank La Fabrique Écologique
"Certes, une partie de la population prend ces problématiques à cœur et se mobilise énormément. Mais une autre partie relativement importante ressent le problème climatique et environnemental comme un problème lointain. Un problème qui ne les concerne pas, voire qui est là pour les emmerder (sic), et sur lequel ils ont de toute façon le sentiment que peu d'actions sont possibles.
C'est un élément assez nouveau dans le paysage français, par rapport à la situation il y a dix ou quinze ans, au moment du Grenelle de l'Environnement notamment (2007, ndlr). À cette époque, il y avait un consensus beaucoup plus fort de la population sur ce sujet. Mais aujourd'hui, on constate une fracture dans la société.
Cette fracture se fait en réalité sur les modes de vie. Vous pouvez avoir un petit salarié dans une ville moyenne qui n'a pas de problème de transport, qui est propriétaire de sa maison et que ça intéresse beaucoup de faire de l'écologie, parce qu'il a envie de mettre des panneaux solaires sur son toit. Et vous pouvez avoir, au contraire, des personnes très riches qui se foutent totalement de faire de l'écologie. La fracture est là : qu'est-ce qui est important dans mon mode de vie, et que représente l'écologie comme avantage ou comme charge pour moi ?
Il y a de ce point de vue une forte logique territoriale. Pour prendre un autre exemple, en région rurale, des ménages salariés qui ont peu de revenus et qui ont besoin de leur voiture pour aller au travail considèrent que l'écologie les embête plus qu'autre chose.
Reconnaissons que parfois, les politiques écologiques menées peuvent être considérées par certains comme des charges supplémentaires sans contrepartie. C'est le cas lorsque vous augmentez la taxe carbone par exemple.
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Ce qui est sûr, c'est que l'écologie sous-estime trop le niveau national. Les gens voient bien qu'il y a un grand discours international sur ces sujets depuis vint ans ; par contre, ce qui est fait n'est pas à la hauteur des ambitions affichées. Tout cela paraît donc un peu lointain. Et rien n'est pire que de demander aux gens de se comporter de telle ou telle façon s'ils ont l'impression que ça ne sert à rien ou que les pouvoirs publics ne suivent pas. Si vous leur dites de ne pas jeter leurs mégots par terre mais qu'il n'y a pas assez de cendriers dans la rue, forcément, ils vont continuer à les jeter par terre.
Enfin, je suis sidéré qu'on présente l'écologie comme une thématique d'avenir. C'est d'abord une thématique du présent ! Si vous la présentez comme une thématique d'avenir, vous êtes mort dans la minute qui suit. Parce que pour les deux tiers de la population qui ont des soucis quotidiens importants, cela devient une thématique du 'on verra plus tard'.
Reste à savoir si la démission de Nicolas Hulot va provoquer un sursaut, ou au contraire, si le message qui en ressort est 'à quoi bon continuer, si même lui abandonne'."
"Le citoyen est prêt, mais les pouvoirs publics ne s'en rendent pas compte"
Annick Lacout, directrice du bureau d'études AEFEL, Agir ensemble pour une faible empreinte écologique
"Les Français ne se désintéressent pas de l'écologie, au contraire. Certes, ce n'est pas le cas de tous. Mais des masses suffisamment importantes se forment pour faire bouger la tendance. Déjà ces dernières années, il y a eu une vulgarisation du sujet et un gros travail de sensibilisation, notamment à travers des émissions de télé. Personne ne peut plus ignorer les enjeux.
Là où je vois un espoir, et c'est assez inattendu, c'est qu'aujourd'hui, assez étrangement, beaucoup comprennent l'intérêt de l'écologie quand il s'agit de gaspillage alimentaire, de bio ou même de changement climatique, dès lors qu'on utilise l'argument de la santé, et non pas celui de l'écologie.
Quand on explique que le bio, c'est éviter de manger des pesticides et que les pesticides, les perturbateurs endocriniens, c'est mauvais pour la santé, alors oui, ça rentre bien dans l'esprit des gens. Et même s'ils s'en fichent de l'écologie, ça les amène malgré tout aux gestes qu'on attend par un autre moyen qui est peut-être plus individualiste : celui de la santé, donc. La sienne et celle de ses enfants. J'ai vraiment ce sentiment depuis quelques mois. Car aujourd'hui, l'alimentation est devenue un sujet central. Ça ne l'était pas il y a deux ou trois ans.
Nicolas Hulot a reconnu son échec sur les pesticides, par exemple. Mais les gens ne veulent plus de pesticides. Ils ne veulent plus manger des produits infestés de pesticides. Le citoyen est prêt, il est en avance. Ce sont les politiques qui sont trop frileux et qui ne suivent pas, parce qu'ils ne s'en rendent pas compte. De même, de plus en plus d'entreprises font le choix du développement durable pour répondre aux attentes de leurs salariés.
Par ailleurs, sur les déchets, mon thème de prédilection, on a mené des politiques publiques pour convaincre de l'intérêt du compostage, de mettre un 'stop pub' sur sa boite aux lettres... Mais maintenant, on a de nouveaux outils. Et j'ai l'impression que ceux qui ont le plus d'écho, ce sont les blogueurs, les influenceurs qui diffusent leurs bonnes pratiques sur les réseaux sociaux. Ils sont beaucoup plus entendus que n'ont pu l'être les politiques.
Résultat : je vois autour de moi des gens qui n'abordaient jamais ces thèmes les diffuser petit à petit. Ce sont les fameux "petits pas" dont a parlé Nicolas Hulot. Après c'est sûr, on ne pourra pas convaincre tout le monde. Mais on peut convaincre plus de gens. On doit convaincre plus de gens."